De la Terre à la Lune à la scène et à l'écran.
« L'opérette ne suit que de très loin l'œuvre de Verne : elle préfère l'atmosphère – typique de la scène lyrique – d'une baroque histoire d'amour et elle se plonge avec délice dans la tentation de suivre la ligne des voyages utopiques au pays d'ailleurs, propice aux satires sociales chères à Offenbach. »La partie la plus réaliste est peut-être la reconstitution de l'observatoire de Paris (tableau 2), qui ne semble pas avoir eu la faveur de son directeur Le Verrier.
« La vue intérieure de la coupole de l’Observatoire de Paris. Copie très fidèle. Partout des télescopes braqués sur le ciel, d’énormes instruments astronomiques, des sphères, de grands registres. Le peintre de ce décor, M. Cornil, a eu des difficultés inouïes pour prendre son croquis à l’Observatoire même. M. Leverrier avait absolument refusé de le recevoir. L’illustre directeur avait-il le pressentiment des plaisanteries que les auteurs du Voyage dans la Lune ont prodiguées aux astronomes ? » (Le Figaro, 27 octobre 1875.)Des adaptations modernes ont été montées par Jérôme Savary en 1987, Erik de Maufort en 2011, Laurent Pelly en 2021 et Olivier Fredj en 2022.
Monté par Paul Clève au théâtre de la
Porte-Saint-Martin en 1882, le Voyage à travers
l'impossible de Jules Verne et Adolphe d'Ennery (3 actes et 20
tableaux, musique d'Oscar de Lagoanère) est considéré
comme un échec par les critiques. Il y eut tout de même 97
représentations, mais c'est encore bien loin des grands
succès des pièces Le Tour du Monde en 80 jours (au
moins 2000 représentations) et Michel Strogoff (386
représentations).
Le texte n'en a été retrouvé qu'en 1978. On y
retrouve certains des personnages les plus célèbres des
Voyages extraordinaires dans leurs œuvres. L'un des
héros, sous les yeux du fils du capitaine Hatteras et du Dr Ox,
incarne successivement le professeur Lindenbrock, le capitaine Nemo, Michel
Ardan. L'acte III met en scène le Gun Club avec Barbicane, Maston
et leur Columbiad. Cependant, le dernier voyage ne se fait pas vers la
Lune, mais vers la planète Altor.
Cette fantaisie fantastique est bien loin du style des romans scientifiques
qui a fait le succès de Jules Verne.
Hetzel a tout fait pour tenter de détourner Jules Verne de ce
projet scénique, craignant un échec qui pourrait affecter
le tirage des romans de l'auteur.
Le célèbrissime Voyage dans la
Lune (1902, 14 min) de Georges Méliès, ses copies
et ses contrefaçons (comme l'Excursion dans la
Lune de Segundo de Chomón, 1908), sont très souvent
notés comme des adaptations de Jules Verne. Nous pensons que ce
sont bien plus des adaptations de la féerie Le Voyage dans la
Lune, l'opéra-bouffe d'Offenbach, que des romans verniens (avec
en plus des emprunts à Les premiers Hommes dans la Lune
(1901) de H.G. Wells).
« Ce film célèbre puise à égalité
dans trois sources, sans se croire obligé de choisir : Jules Verne,
Herbert George Wells, et la féerie populaire. » (Michel
Chion Les films de science-fiction, 2008, Cahiers du Cinéma).
Le Voyage à travers l'impossible est aussi un titre de Méliès (1904, 24 min). Ici, pas de canon, d'obus ni de fusée. C'est dans un train tracté par une locomotive que les voyageurs sont convoyés dans l'espace, non pas vers la Lune, mais vers le Soleil. Et ils en reviennent dans un sous-marin similaire au Nautilus.
En fait, il existe peu de véritables adaptations cinématographiques des romans lunaires de Jules Verne. Sans doute la difficulté d'une mise en scène réaliste et l'invraisemblance du tir au canon y sont-elles pour quelque chose. On peut cependant regretter que Karel Zeman ne se soit pas lancé dans l'aventure avec la poésie, l'onirisme et la magie graphique qui font le charme de ses productions.
Mentionnons sans le détailler La Femme sur la Lune
(Frau im Mond, 1929, 156 min) film allemand muet de Fritz Lang
(1890–1976), d'après un roman de Thea von Harbou, avec Hermann
Oberth (1894–1989) et Willy Ley (1906–1969) comme consultants.
Le réalisme scientifique de ce film, qui met en jeu une fusée
à plusieurs étages, en fait quasiment un documentaire. Les
nazis l'avaient d'ailleurs interdit, en raison de la
révélation, selon eux, de secrets militaires.
Ne retenant que les films ayant gardé le canon de Jules Verne, il
reste De la Terre à la Lune (From the Earth to the
Moon, technicolor, 101 min) de Byron Haskin (1899–1984), sorti en
1958.
« Adaptation – ou plutôt trahison – de Jules Verne, dépourvue de moyens » selon Jean Tulard (Guide des films, 1990, Robert Laffont). Ce jugement est-il sans appel ? Pour moi, la plus grande trahison est de nous y avoir présenté un Barbicane (interprété par Joseph Cotten) sans barbe et sans canne !
Rappelons le contexte. En 1958, nous sommes en pleine guerre froide. C'est le début de l'épopée spatiale bâtie sur une compétition acharnée entre les États-Unis et l'URSS. Des deux côtés du rideau de fer, les démonstrations de bombes atomiques se succèdent.
Byron Haskin a gardé le canon. Mais l'obus est cependant équipé d'une fusée. Le moteur de tout ça, tant pour le canon comme pour la fusée, est la « puissance X », une source d'énergie faramineuse que l'on devine être nucléaire. Sans le dire, tout comme l'énergie qui mouvait le Nautilus dans le film Vingt mille lieues sous les mers de Richard Fleisher (1954). Seul parmi toutes les autres adapatations, ce film utlise un canon enterré, comme la Columbiad de De la Terre à la Lune. Les autres adaptations, à la scène comme à l'écran, nous montrent un canon à l'air libre, beaucoup plus spectaculaire (c'était en fait la proposition primitive d'un canon horizontal de Maston dans De la Terre à la Lune, chap. 7). On note une mise à feu réglée par un compte à rebours (cf George Griffith et Fritz Lang).
Ici, pas de Michel Ardan, disparu avec sa fantaisie à la française. Sont retenus pour le voyage les deux antagonistes Barbicane et Nicholl, ainsi que Sharpe, l'assistant de Barbicane. Mais une touche féminine est rajoutée en faisant embarquer en passagère clandestine la fille de Nicholl, qui est également la fiancée de l'assistant. Et Jules Verne, dont l'adaptation est explicitement revendiquée au générique, est physiquement présent (interprété sans ressemblance crédible par Carl Esmond), qui nous donne le mot de la fin.
Il y a beaucoup de naïvetés (euphémisme pour absurdités ?) dans ce film. Pour résister à l'accélération du départ dans le canon, les personnages se placent dans une centrifugeuse ! (L'héroïne, passagère clandestine, n'en bénéficie pas, et survit cependant.) Les images nous montrent l'obus (ou plutôt la fusée) avc des gaz s'échappant de la partie arrière, pour bien montrer qu'il s'agit d'une fusée. Mais ces gaz se développent en volutes aussi bien vers l'avant que vers l'arrière, tels les gaz du pot d'échappement d'une voiture immobilisée dans un embouteillage ! Il n'y a aucune suggestion d'impesanteur dans l'obus, tout au long de son périple. Même lorsque les héros boivent cérémonieusement le champagne, manquant ainsi le gag du capitaine Haddock avec son whisky. Il est vrai que le moteur fusée applique une certaine accélération ; mais cet effet devrait cesser lors des moments de dysfonctionnement.
Cependant le film n'est pas anodin. Derrière l'opposition entre le cynique Barbicane (Joseph Cotten), qui veut démontrer l'efficacité de son arme destructrice pour la monnayer, et le pacifiste Nicholl (George Sanders), c'est tout le problème des armes nucléaires qui est posé.
Les premiers Hommes dans la Lune (First Men on the
Moon, 1964, 103 min) du réalisateur américain Nathan Juran
(1907–2002) est tiré du roman éponyme de H.G. Wells (1901).
Ici, ni fusée ni canon, mais une substance ad hoc qui annihile
la gravité, la cavorite, ce qui avait fait bondir Jules Verne
(« Ça c'est très joli, mais montrez-le moi ce métal.
Qu'il me le fabrique ! »).
Ce film sorti quatre ans avant la mission Apollo 11 présente, en introduction et au final, des préfigurations réalistes d'une exploration lunaire avec la bénédiction de la NASA (créditée).
Comme dans les romans de Jules Verne et les missions Apollo, l'équipage est un trio. Dont une femme (comme dans le film de Fritz Lang). L'un d'entre eux, Cavor, décidera de rester sur la Lune, comme le méchant du film de Fritz Lang ou du Tintin d'Hergé, mais ici c'est pour la bonne cause : Cavor est un scientifique décidé à étudier la civilisation sélène !
Le final du film donne une explication à l'absence actuelle
d'habitants sur la Lune : ils auraient succombé, suite à une
infection propagée par Cavour lui-même, qui était
enrhumé ! Quand on sait que le premier geste des équipages
d'Apollo à leur arrivée sur la Lune a été d'y
déverser leurs sacs-poubelles, on réalise que les
Sélénites, s'ils existaient, auraient eu une deuxième
chance de succomber !
Il y a ensuite, dans le style comédie, Le Grand
Départ vers la Lune (Jules Verne's Rocket to the Moon
– Those Fantastic Flying Fools aux États-Unis –,
95 min/117 min) du réalisateur britannique Don Sharp
(1922–2011) sorti en 1967. Ici encore, en dépit du titre,
canon et fusée sont associés. La simple vue de son affiche
suggère que ce film, ce n'est pas du sérieux ! Il est de la
même veine, où l'humour britannique coule à flots, que
le film Ces merveilleux fous volants dans leurs drôles de
machines (1965), dont Don Sharp était réalisateur
adjoint.
« Distrayant et agréable, ce film, très éloigné du roman de Jules Verne, témoigne cependant d'une imagination débridée » selon Daniel Collin (dans le Guide des films de Jean Tulard, 1990, Robert Laffont).
Donc un obus doit être lancé vers la Lune. Les acteurs du projet sont des personnages hauts en couleur de caractères très divers et servis par une distribution internationale. Il y a d'abord les techniciens, pour la plupart des savants fous. Comme Siegfried von Burlow, ce chimiste allemand qui apporte son explosif révolutionnaire. Le jeune Gaylord Sullivan, seul personnage sympathique de l'équipe, est un ingénieur compétent qui a eu l'idée de munir le projectile de fusées lui permettant le retour sur Terre.
Sir Percival est l’astronome royal à qui on a demandé de déterminer la date de lancement du moon-ship. Selon lui, il y a seulement une date favorable tous les 100 ans environ. Mais si dans le roman de Jules Verne, le tir doit avoir lieu au moment où la Lune est au zénith dans le ciel de Floride, dans le film de Sharp, le canon est situé en Irlande, à plus haute latitude, où la Lune ne passe jamais au zénith !
Ensuite, il y a les promoteurs et les financiers du projet. Ce sont des escrocs, qui ne voient que le profit financier qu'ils pourraient tirer de cette entreprise. Parmi eux, l'Américain Phineas T. Barnum accompagné de Tom Pouce (une personne de petite taille) qui furent des personnages réels. Jules Verne a épinglé le charlatan Barnum dans nombre de ses romans, soulignant ses aspects manipulateur et intéressé. Il y a aussi Henri, un banquier français dont l'unique motivation est d'envoyer Gaylord dans un voyage sans retour afin de lui piquer sa fiancée. Et encore un espion russe : le film a été tourné en 1967, en plein guerre froide alors que la compétition spatiale entre Soviétiques et Américains était à son paroxisme.
Le final du film est à ne pas manquer : il fera sourire ceux qui se souviennent des tableaux de Répine et des choeurs de l'Armée rouge.
De la Terre à la Lune (From the Earth to the
Moon) est également une série
télévisée américaine (12 épisodes de
50 min, diffusés en 1998 sur HBO, en 1999 sur Canal +). Mais elle
n'emprunte à Jules Verne que le titre et retrace
l'épopée du programme Apollo. La réalité a
remplacé la fiction !
Bibliographie
© 2015–2022 Jacques Crovisier
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