SUR L'ASTROLOGIE : RÉFLEXIONS DE DEUX ASTRONOMES

 François Biraud & Philippe Zarka 

Observatoire de Paris, Meudon


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SOMMAIRE
1 - INTRODUCTION
2 - QU'EST-CE QUE L'ASTROLOGIE ?
2.1 - Les principes de base de l'astrologie
2.1.1 - Le zodiaque et les signes
2.1.2 - Le "thème" ou "horoscope de naissance"
2.1.3 - La domification
2.2 - Les faux-problèmes de l'astrologie (et quelques vrais ...)
2.2.1 - Le problème des hautes latitudes
2.2.2 - La précession des équinoxes et le 13ème signe du zodiaque
3 - L'ASTROLOGIE EN TANT QUE SCIENCE OU "COMMENT ÇA MARCHE ?"
4 - DES TESTS DE L'ASTROLOGIE ou "EST-CE QUE CA MARCHE ?"
4.1 - Une seule méthode de test
4.2 - Résultats positifs ...
4.3 - ... et résultats négatifs
5 - L'ASTROLOGIE EST-ELLE UNE SCIENCE ?
6 - ASTROLOGIE ET SOCIÉTÉ ou "À QUOI CA SERT ?"
7 - COMMENT PRENDRE LE DÉBAT ?
8 - CONCLUSIONS
Remerciements
ANNEXE : Citations
QUELQUES RÉFÉRENCES
NOTES

1 - INTRODUCTION

Plus on se bat contre l'astrologie, plus elle fleurit [1--3] : il y a un problème quelque part ! Il semble que les arguments avancés par les astronomes ne soient pas convaincants, et que la stratégie utilisée ne soit pas adaptée.

Or, l'astronome doit s'exprimer sur l'astrologie, car il y est sans cesse "associé" par le public (par exemple, les questions du grand public ou des "scolaires" lors des visites de l'Observatoire de Paris-Meudon-Nançay ont souvent trait à l'astrologie) et par les astrologues eux-mêmes qui entretiennent la confusion des genres et en tirent crédit. En tant que scientifique, il dispose de la "grille d'analyse" lui permettant de conclure que l'astrologie est une fausse science (section 5) dont les prédictions sont infondées (section 3) et erronées (section 4). En tant que citoyen, il devrait combattre son développement, qui est celui de l'obscurantisme, et surtout son exploitation économique et politique (section 6).

A partir de ce constat, nous livrons ici quelques réflexions visant à dépasser l'échange habituel - et stérile - des arguments standards et parfois erronés qu'astronomes et astrologues se jettent mutuellement à la tête pour critiquer ou défendre l'astrologie. Nous nous attachons notamment à distinguer les arguments solides qui permettent de réfuter l'astrologie de ceux qui sont plus contestables, afin de permettre aux astronomes d'aborder le débat mieux armés et moins vulnérables. Nous esquissons également une analyse des raisons du succès de l'astrologie et suggérons les grandes lignes d'un travail de fond (effort d'information et d'éducation) et de forme (accessibilité et attrait du discours correspondant) qui nous semble nécessaire de la part des astronomes et des scientifiques en général.

2 - QU'EST-CE QUE L'ASTROLOGIE ?

Par honnêteté intellectuelle, aussi bien que pour ne pas se faire contrer à juste titre par les astrologues, il faut connaître le sujet et ne pas utiliser d'arguments douteux[4]. On présente donc brièvement ici les principes de base de l'astrologie, ainsi que quelques faux problèmes et vraies critiques qui peuvent être formulées à son encontre.

Très tôt furent constatés les liens entre certains phénomènes célestes et terrestres, en particulier entre le déroulement des saisons et le parcours du zodiaque par le Soleil. L'introduction arbitraire d'une relation de causalité directe entre les phénomènes astronomiques observés et le déroulement de la vie humaine a débouché sur l'astrologie. Pour un historique détaillé, on pourra se reporter au "Que sais-je ?" de l'astronome P. Couderc [1974], mais aussi au livre de S. Fuzeau-Braesch "Pour l'astrologie..." [1996].

2.1 - Les principes de base de l'astrologie

2.1.1 - Le zodiaque et les signes

Les "luminaires" (Soleil et Lune) et les planètes se déplacent dans le zodiaque. On se contente en général de les repérer par leurs longitudes écliptiques, ce qui est raisonnable puisque les inclinaisons des orbites sont faibles (0.8° à 3.4°, sauf Mercure 7° et Pluton 17.2°).

Le zodiaque, parcouru par le Soleil en un an, est divisé en 12 "signes" égaux de 30° chacun. Pour quelles raisons historiques ? La division de l'année en 4 saisons est compréhensible (entre solstices et équinoxes). En revanche, la division de chaque saison en 3 signes est arbitraire. Par exemple, il semble que les hommes des mégalithes (il y a 4000 ans) aient divisé les saisons en deux : beaucoup d'alignements donnent les levers (et couchers) aux équinoxes et aux solstices, mais on en connaît aussi donnant les dates intermédiaires [Heggie, 1981]. Mais sans doute 12 était-il un "beau" chiffre...

L'histoire des noms des signes du zodiaque n'est pas très claire [Gurshtein, 1995; Thurston, 1994]. Il semble évident que certains ont été nommés d'après la constellation correspondante à cette époque, par exemple les Gémeaux. En revanche, la Balance, qui ne contient aucune étoile remarquable (a et b sont de 3ème magnitude) tire son nom, selon Virgile, de l'égalité jour/nuit lorsque le Soleil y entre, à l'équinoxe d'automne.

2.1.2 - Le "thème" ou "horoscope de naissance"

Il est défini par les positions des astres dans le ciel au moment de la naissance.

Une partie du thème ne tient compte que des positions des astres dans les signes et entre eux (ces derniers sont appelés "aspects") : elle ne dépend donc pas du lieu, mais seulement de la date. Ses variations sont lentes : le mouvement le plus rapide est celui de la Lune qui met 2.5 jours à traverser un signe. Une autre partie fait intervenir l'horizon, via le système des "maisons" détaillé ci-dessous. Elle va donc dépendre du lieu. Elle varie beaucoup plus vite, le ciel se déplaçant d'un signe en 2 heures. La distribution des 8 planètes, du Soleil et de la Lune dans les 12 maisons peut donc changer jusqu'à 120 fois par jour.

Il en résulte que peu de gens ont des horoscopes identiques, contrairement à ce que prétend un argument souvent utilisé (à tort). Même dans une grande ville comme Paris, il ne naît que 200 enfants environ par jour !

Le problème des jumeaux, à thème identique et destinées différentes, devrait en revanche poser problème aux astrologues ...

2.1.3 - La domification

C'est la façon de définir les 12 maisons.

On définit "l'ascendant" et son opposé le "descendant" par les intersections de l'horizon et de l'écliptique, et le "milieu du ciel" et son opposé le "fond du ciel" par les intersections du méridien et de l'écliptique. Pour la suite, les astrologues ne sont pas d'accord entre eux. Le système le plus utilisé est celui de Placidus de Titis (qui date du 17ème siècle, mais repris de Ptolémée) : on découpe le ciel autour de l'axe horizontal Nord-Sud (et non de l'axe pôle Nord-pôle Sud) en 12 fuseaux que le Soleil parcourt en des temps égaux du lever au coucher (les "maisons diurnes") ou du coucher au lever (les "maisons nocturnes"). Les maisons diurnes et nocturnes ont donc des durées différentes. Il existe d'autres systèmes, par exemple celui de Maternus qui a 12 maisons égales.

C'est la domification qui va poser un problème aux hautes latitudes ...

2.2 - Les faux-problèmes de l'astrologie (et quelques vrais ...)

2.2.1 - Le problème des hautes latitudes

Au delà des cercles polaires Nord ou Sud :

  • La partie du thème indépendante du lieu reste valable : de n'importe quel point de la Terre, à n'importe quel moment, on voit la moitié de l'écliptique, donc en général des planètes.
  • L'horizon et l'écliptique étant des grands cercles, ils se coupent en 2 points opposés : il y a donc toujours un ascendant (et un descendant), sauf pour un cas pathologique : sur le cercle polaire, une fois par jour, lorsque le pôle de l'écliptique passe au zénith.
  • Il y a toujours un milieu du ciel, sauf au pôle où on ne peut pas définir le méridien.
  • Finalement, seule la définition des maisons ne marche plus au delà des cercles polaires, lorsque le Soleil n'a ni lever ni coucher, c'est-à-dire au voisinage des deux solstices.
  • C'est trop souvent qu'on dit - à tort - que "les gens nés au nord du cercle polaire (Nord) n'ont pas d'horoscope". On voit d'après les arguments ci-dessus que seule une partie de l'horoscope de naissance (liée aux maisons) n'est plus définie, et ce dans des cas relativement rares.

    Remarquons que les astrologues n'ont guère eu de flair : ce problème est dû au système de Placidus. Il eût été facile de l'éviter par une autre domification.

    2.2.2 - La précession des équinoxes et le 13ème signe du zodiaque

    L'argument très utilisé selon lequel l'astrologie ne vaut rien parce qu'elle ignore la précession (décalage d'un signe et demi par rapport aux constellations depuis l'antiquité - voir par exemple [Di Cicco, 1989]) est très dangereux. Il est d'ailleurs mentionné et réfuté dans la plupart des livres d'astrologie.

    Nous comptons actuellement les longitudes de 0° à 360°, mais il n'en a pas toujours été ainsi : on les a longtemps comptées en 12 signes de 30 degrés, et de 0° à 30° à l'intérieur de chaque signe. Les astrologues ont conservé cette convention, mais c'est seulement un archaïsme. La "Connaissance des Temps" a fait de même jusqu'en 1833 inclus[5] !

    Rappelons l'origine de ce problème : l'écliptique est fixe dans l'espace (sur les durées qui nous intéressent ici), mais l'axe de rotation de la Terre a un mouvement de précession de période 25800 ans environ[6]. L'équateur - terrestre ou céleste - est entraîné dans cette précession, comme le sont ses intersections avec l'écliptique : les équinoxes. La précession des équinoxes provient donc du choix de l'origine des longitudes. Si on avait choisi, dans l'écliptique, une origine "fixe" dans l'espace (par rapport aux étoiles), les constellations seraient restées dans leur signe au cours du temps. En revanche, les influences du Soleil et de la Lune sur la Terre (saisons, marées) se seraient progressivement décalées par rapport aux signes et à leurs constellations associées. Il était tout aussi logique de mesurer les positions par rapport à l'intersection de l'écliptique et de l'équateur : le point vernal, noté "g" en référence au symbole du Bélier !

    La graduation de l'écliptique en 12 signes de 30° (zodiaque tropique ou saisonnier, par opposition au zodiaque des constellations) n'est donc rien d'autre qu'un repérage dans le ciel. Grâce à ce choix, malgré la précession, le beau temps, par exemple, revient (dans l'hémisphère Nord) lorsque le Soleil "entre dans le Bélier". C'est aussi à ce moment que l'on a des grandes marées. En revanche, les constellations se déplacent par rapport aux signes : on ne peut pas tout avoir !

    Notons que cette utilisation purement géométrique du zodiaque tropique évacue d'autres problèmes parfois soulevés par les opposants à l'astrologie :

  • La nature tridimensionnelle des constellations dont l'aspect résulte d'une projection sur le ciel d'étoiles situées à des distances quelconques de la Terre.
  • Les longueurs très inégales des intersections des constellations zodiacales avec l'écliptique.
  • L'omission du "13ème signe" (Ophiucus, entre le Sagittaire et le Scorpion) dans la bande du zodiaque.
  • Il ne faut pas oublier que le découpage actuel des constellations est très récent : il date d'une résolution de l'Union Astronomique Internationale de 1922.

    Là où les astrologues sont pris en flagrant délit d'incohérence, c'est lorsque l'interprétation du thème conserve la symbolique des constellations qui ont servi à baptiser les signes : force du Lion, caractère double pour les Gémeaux, etc. (mais il faut reconnaître que c'est rare); et aussi lorsque le déplacement du point vernal dans les constellations est pris en considération : "ère du Verseau". Il faudrait choisir !

    3 - L'ASTROLOGIE EN TANT QUE SCIENCE OU "COMMENT ÇA MARCHE ?"

    Il n'est pas toujours facile de faire la différence entre astrologie et science vraie. Ce n'est pas étonnant : vu de l'extérieur, il y a beaucoup d'analogies. Tout d'abord, l'horoscope, schéma objectif du ciel à un instant donné, n'est pas contestable. Seule son interprétation astrologique l'est. De plus, l'astrologie postule une relation entre les astres et les aptitudes, les comportements humains ... Ceci n'a a priori rien d'anti-scientifique. L'astrologie ne fait appel à rien de surnaturel ni de métaphysique, contrairement par exemple à la numérologie, la divination, la voyance (tarots, boule de cristal, marc de café) ou ... la religion ! C'est une erreur tactique que de mettre tout ça dans le même sac.

    Il faut même commencer par admettre qu'il existe des influences physiques des astres sur certains phénomènes terrestres (marées, saisons) qui à leur tour influencent l'homme. Le rôle de la Lune a été très étudié (voir par exemple Bianucci [1990]), ainsi que celui de la date de naissance sur les performances sportives [Dudink, 1994; Edwards, 1994; Baxer-Jones & Helms, 1994] ou scolaires [Azevedo et al., 1995; Gotoda, 1995] : la saison de naissance, associée au découpage des tranches d'âge par années scolaires, fait que les enfants les plus jeunes de chaque groupe sont généralement défavorisés quant à leurs performances sportives par rapport à leurs aînés de quelques mois; dans le cas des performances scolaires, Gotoda [1995] a suggéré que les enfants nés en été bénéficient d'une plus grande ouverture aux stimuli externes pendant les premiers mois de la vie, décisive pour la suite de leur développement cérébral.

    L'astrologie extrapole cette causalité aux planètes (mais curieusement, pas aux autres objets du système solaire : astéroïdes, comètes...), sans toutefois proposer la moindre justification physique de leur influence prétendue sur les êtres humains. Les astrologues négligent généralement cette question et rejettent sur leurs détracteurs la responsabilité de démontrer l'absence d'influence des planètes, tâche beaucoup plus ardue que le contraire (section 4).

    Ce qu'un scientifique peut (et doit) dire au minimum, c'est que cette influence n'est explicable en aucune manière, par aucune des interactions connues. Par exemple :

  • Les forces gravitationnelles (ou de marées) dues aux planètes sont insignifiantes devant celles du Soleil et de la Lune, et comparables à celles exercées par la Tour Eiffel ou une montagne proche, ou même le médecin accoucheur[7]!
  • Le rayonnement (la lumière) que nous recevons des planètes est insignifiant par rapport à celui reçu du Soleil ou de la Lune (sauf en radio basses fréquences et seulement pour Jupiter - voir par exemple [Zarka, 1998]).
  • Plus généralement, le fait que toutes les planètes aient une influence d'importance comparable malgré leur éloignement différent exclut pour la loi qui gouvernerait cette influence toute forme de dépendance simple par rapport à la distance. Par exemple, ainsi que l'explique Pecker [1983], si cette influence suivait une loi en 1/R2 (comme la gravitation ou le rayonnement), chaque coquille sphérique de rayon R centrée sur la Terre comptant grosso-modo un nombre d'astres proportionnel à R2, sa contribution serait proportionnelle a R2¥1/R2 ... et donc égale à celle de n'importe quelle autre coquille. Il n'y aurait donc aucune raison de se limiter aux astres du système Solaire, et on devrait prendre en compte l'influence de tous les astres de l'Univers !

    Mais prudence : les astrologues n'ont jamais prétendu que l'effet était d'origine gravitationnelle, ni radiative ! Le problème est en fait qu'ils n'ont rien prétendu, et qu'ils opposent une ligne de défense extrêmement "molle" ("stratégie de l'édredon") aux attaques de cette nature.

    Les plus ardents défenseurs de l'astrologie suggèrent (qualitativement) des effets subtils ou inconnus. Comme exemple des premiers on peut imaginer une sensibilité humaine particulière aux ondes gravitationnelles de très basses fréquences dont les périodes correspondraient aux révolutions planétaires; mais là encore, leur intensité serait plus faible que celles produites par les étoiles binaires massives ou les explosions de supernovae. Les seconds nous ramènent à la question de l'existence d'une 5ème force (en plus de la gravitation, de la force électromagnétique - qui se propage via les ondes lumineuses, radioélectriques, etc. -, et des deux interactions nucléaires à très courte portée) encore jamais mise en évidence par ailleurs; voire d'une 6ème force etc.

    Certains astrologues tirent argument de la mode des phénomènes dits "sensibles aux conditions initiales", à comportement chaotique ou non, pour prétendre que des causes très faibles peuvent produire conséquences importantes sur un système aussi complexe que l'homme. Cette tentative de récupération est malheureusement pour eux irrecevable, car alors "l'horizon" des prédictions est très limité, c'est-à-dire qu'après une courte durée, les effets deviennent imprévisibles.

    La première conclusion importante à tirer des considérations ci-dessus, c'est que si l'astrologie "marche" (voir section 4), alors on n'a aujourd'hui pas la moindre idée de "comment ça marche". Les scientifiques ne peuvent que montrer qu'aucune loi connue ne permet de justifier l'influence supposée des planètes. Mais c'est fondamentalement aux astrologues de chercher la justification physique de leur pratique, et non aux scientifiques d'en démontrer pour eux l'inexistence (tâche logiquement impossible). Le problème est que les astrologues, mercantiles ou "sérieux", ne se préoccupent pas le moins du monde de cette question. Tout au plus se sont-ils préoccupés d'intégrer les planètes découvertes tardivement (Uranus, Neptune et Pluton) à l'astrologie ptoléméenne, elle-même fondée sur des règles arbitraires (au passage, il était pratique d'imputer à ces planètes les erreurs d'interprétation passées). Cette attitude est fortement non-scientifique.

    4 - DES TESTS DE L'ASTROLOGIE ou "EST-CE QUE CA MARCHE ?"

    4.1 - Une seule méthode de test

    La réfutation de l'astrologie soulève un point fondamental : pour être scientifiquement prouvée, il n'est pas nécessaire que l'influence d'un phénomène sur un autre soit observée (mesurée) et expliquée : l'une des deux conditions suffit. Par exemple, on peut démontrer le fait que les marées sont dues à la Lune soit par une démonstration théorique (on considère l'attraction universelle et on fait le calcul), soit par une analyse statistique (on mesure la marée pendant des années et on corrèle avec la position de la Lune). En revanche, comme on ne peut pas prouver théoriquement l'impossibilité d'une relation entre deux phénomènes, on ne dispose pour démontrer une absence de relation que de la méthode statistique.

    L'astrologie ne prétendant pas fournir (ni même chercher) une explication théorique à l'influence des astres sur l'homme, on ne dispose donc pour en tester la validité que de l'analyse statistique ... par laquelle l'obtention de résultats tranchés est beaucoup plus difficile, et qui peut presque toujours être remise en doute.

    Là encore, il ne faut pas laisser les astrologues déplacer le problème : c'est à eux de prouver que l'astrologie marche et non aux astronomes - ou autres scientifiques - de prouver qu'elle ne marche pas. Or il y a déjà eu de très nombreuses expériences, toutes négatives, bien que les astrologues prétendent que certaines sont probantes. Sans faire ici un cours de statistique, il faut rappeler ici les conditions fondamentales devant être respectées pour garantir la validité scientifique de toute analyse de ce type :

  • (1) définir rigoureusement le protocole expérimental avant l'expérience et s'y tenir;
  • (2) vérifier le caractère significatif des résultats obtenus (tests de confiance, analyse des biais possibles, etc.);
  • (3) s'engager à publier tous les résultats obtenus, clairement et sous contrôle.
  • 4.2 - Résultats positifs ...

    Dans le cas des tests astrologiques, l'analyse des résultats (2) semble en général correcte (pas d'erreur grossière sur les tests de confiance), mais ce sont les conditions (1) et (3) des expériences qui ne sont pas correctes. Aucune des expériences prétendument positives ne satisfait à ces deux conditions. Par exemple, dans les études des Gauquelin sur les corrélations entre métier et signe de naissance (effet "Mars"), des corrélations significatives sont obtenues, mais pour combien d'essais ? Si on essaie au hasard 1000 corrélations, l'une d'elles sera sans doute significative à une chance sur mille ! De plus, de nombreux biais sont possibles, comme l'influence - consciente ou non - de l'astrologie dans l'orientation du choix du métier. Enfin, comme on a le choix entre de très nombreuses caractéristiques astrologiques à corréler au métier des gens, il est facile d'en trouver "qui marchent mieux".

    Le milieu scientifique fait confiance à ses membres sur le point (3). Cela n'a pas empêché quelques ratés (en biologie, par exemple pour l'homéopathie). Mais les professionnels se sentent en général peu impliqués dans le résultat qu'ils obtiennent (c'est le fait d'obtenir un résultat qui compte), ce qui limite la tentation de frauder, tandis que les astrologues sont toujours juges et parties. Par exemple, les Gauquelin ont publié non seulement les travaux de leur "Laboratoire d'Étude des Relations entre Rythmes Cosmiques et Psychophysiologiques" [1970], mais aussi des livres qui prennent la défense de l'astrologie [1955, 1966]. Quel astronome penserait à "défendre" l'astronomie ? Il existe même des cas où le commanditaire d'une expérience astrologique, au vu du résultat négatif, a refusé sa publication [Von Hoerner, 1996].

    Enfin, la présentation des résultats et le langage utilisé révèlent très souvent un biais de l'auteur (ouvrages de S. Fuzeau-Braesch, thèse de médecine de Couderat [1992]).

    En conséquence, on ne peut avoir aucune confiance dans les quelques expériences qui sont toujours citées comme positives !

    4.3 - ... et résultats négatifs

    Parmi les nombreuses expériences négatives, citons (extraits de [Fraknoi, 1989]) :

  • une étude de B. Silvermann (psychologue) sur l'influence du signe astrologique sur l'issue du mariage, auprès de 2978 couples mariés et 478 divorcés : aucune corrélation n'a été obtenue avec les prédictions d'astrologues sur les (in)compatibilités entre signes;
  • une étude de J. Mc Gervey (physicien) sur la distribution des signes de 6000 politiciens et 17000 scientifiques : aucun signe privilégié n'a émergé de cette étude de type "Gauquelin";
  • une expérience de M. Gauquelin lui-même (statisticien), au cours de laquelle 141 individus sur 150 (94%) se sont reconnus dans le même horoscope interprété (de surcroît celui de l'un des pires meurtriers de l'histoire de France);
  • une expérience voisine de G. Dean [1977] portant sur deux groupes de quelques dizaines de personnes, confrontées dans l'un à l'interprétation de son horoscope, et dans l'autre à l'inverse de cette interprétation (traits de caractère inversés) : la même proportion (~95%) s'est reconnue dans les deux cas !
  • une étude enfin de R. Culver & P. Ianna [1988], qui ont entrepris de recenser les prédictions vérifiables concernant des personnalités, et ont trouvé une proportion d'environ 10% de succès, aisément attribuable au hasard et à l'intuition.
  • On trouvera d'autres exemples dans Pecker [1983], Colinon & D'Izarn [1974], la revue "Skeptical Inquirer", et les cahiers de l'Union Rationaliste. Mais la plupart de ces études souffrent évidemment des mêmes défauts que les expériences positives citées plus haut, et elles sont donc également critiquables.

    La seule étude respectant parfaitement les critères (1) à (3) ci-dessus, et donc la seule convaincante, est celle de S. Carlson [1985] publiée dans "Nature". L'objet en était de tester la thèse fondamentale de l'astrologie de naissance (reconnue par toutes les écoles d'astrologues comme l'astrologie "pratique, appliquée, respectable" par excellence), c'est-à-dire "la capacité de l'astrologie a interpréter les horoscopes de naissance en termes de personnalité, comportement, et événements majeurs probables de la vie". Le traitement exemplaire de cette étude justifie une description détaillée :

    - les participants consistaient en un groupe de test de ~100 volontaires (avec pour chacun le lieu, la date, l'heure de naissance à 15 minutes près, l'horoscope correspondant tracé par ordinateur, et un profil psychologique objectif - le California Personality Inventory ou CPI), un groupe de contrôle avec une distribution identique de signes de naissance, et 28 astrologues. Ces derniers ont d'abord construit les interprétations des horoscopes des 100 volontaires.

    - 3 tests complémentaires ont ensuite été effectués :

    Dans chaque cas, un classement était demandé avec une pondération de 1 à 10.

    De nombreuses précautions ont été prises pour éliminer biais et contestations possibles:

  • l'auteur s'est entouré d'un groupe de scientifiques et d'astrologues, à titre de conseil et de contrôle; il a établi le protocole de test avec leur accord; cette précaution élimine toute contestation ultérieure des résultats au titre du point (1) de la section 4.1.
  • tous les tests ont été effectués en "double-aveugle", c'est-à-dire en conservant l'anonymat de tous les participants, seulement identifiés par des codes chiffrés.
  • les horoscopes ont été réalisés uniformément (par logiciel) indépendamment des astrologues participants; la mention du lieu, de la date de naissance et du sexe n'a pas été fournie avec l'horoscope.
  • toute mention du signe de naissance et de l'âge a été éliminée de l'interprétation, ainsi que toute prédiction ou avis subjectif.
  • le test (a) subi par chaque volontaire du groupe test a été également soumis à un membre du groupe de contrôle, de même signe de naissance, pour éliminer le biais dû à ce dernier (pour être significatif, le taux de reconnaissance devait être plus élevé dans le groupe test).
  • enfin, les volontaires déclarés sceptiques envers l'astrologie, ou ceux ayant précédemment fait établir leur horoscope de naissance, n'ont pas été sélectionnés.
  • Les résultats sont sans appel : 1/3 de bon choix aux tests (a) et (c), avec ou sans prise en compte de la pondération. Ce chiffre correspond au pur hasard, alors que le pourcentage minimum de succès prudemment prédit par les astrologues était 50%. Comme les résultats au test (b) sont aussi 1/3 de bon choix, l'auteur a honnêtement conclu à l'incapacité des individus à reconnaître leur propre profil psychologique, et donc à l'inutilité du test (a) pour vérifier ou infirmer l'astrologie. Le test (c), en revanche, indépendant de cette capacité d'auto-reconnaissance, prouve irréfutablement l'échec de l'astrologie de naissance.

    Notons au passage que le résultat inattendu du test (b) disqualifie les expériences positives ou négatives passées fondées sur cette auto-reconnaissance (et par ailleurs ne satisfaisant pas à la condition (1), ni en général (3)). Il montre aussi qu'un grand nombre de sujets est insuffisant pour assurer le caractère significatif d'un résultat, mais qu'au contraire un nombre modeste (ici 2¥100) suffit si les biais sont maîtrisés et contrôlés.

    On peut aisément imaginer des extensions de ce test, ou des expériences visant à tester d'autres types de prédictions astrologiques :

  • remplacement de chaque volontaire par des psychiatres et psychologues qui le connaissent, dans les tests (a) et (b) ci-dessus;
  • comparaison des interprétations astrologiques du même horoscope réalisées indépendamment par plusieurs astrologues(en général divergentes);
  • prédiction de faits précis par les astrologues (en général, ils refusent !).
  • On peut même se poser la question "est-il possible de déduire un horoscope à partir de son interprétation ?", ou exprimée autrement "l'astrologie est-elle bijective ?". Le caractère qualitatif des interprétations et prédictions suggère une réponse négative. Aucune planète n'a jamais été découverte grâce à l'astrologie, par exemple!

    5 - L'ASTROLOGIE EST-ELLE UNE SCIENCE ?

    On a rappelé ci-dessus (4.1) que pour être scientifiquement valable, un phénomène ne doit pas obligatoirement être observé (mesuré) et expliqué. Beaucoup de phénomènes ont été parfaitement étudiés bien avant qu'on dispose d'une théorie (les marées, l'hérédité...). Mais dans tous les cas, il s'agissait de phénomènes énormes, dont l'existence était flagrante. Il est très curieux de constater qu'en astrologie, après 3000 ans et un monceau de littérature sur le sujet, les plus optimistes en sont encore à essayer de mettre en évidence l'existence même du phénomène. Cela semble être une caractéristique des fausses sciences : radiesthésie, télépathie, sourcellerie, etc. Au mieux, il s'agirait toujours de phénomènes marginaux. Pour nous (scientifiques), c'est bien sûr évident. Mais ça devrait inquiéter les astrologues...

    Le problème de l'impact de ce type de débat sur le public est que l'argumentation développée plus haut (sections 3 et 4) est convaincante dans notre système de pensée (scientifique), compte tenu de notre corpus de connaissances. Elle n'est pas utilisable vers d'autres. Au mieux elle ne sera pas convaincante, au pire elle nous fera taxer de dogmatisme (terrorisme de la pensée unique).

    Au cours de la réflexion "l'astrologie est-elle une science ?", on bute inévitablement sur d'autres questions, plus fondamentales, ou relatives à notre interlocuteur : le public.

  • Qu'est-ce que la démarche scientifique ?
  • Qu'est-ce que le raisonnement, la preuve scientifique ?
  • Comment pense l'homme de la rue ?
  • Comment faire passer le message scientifique ?
  • Quelques tentatives de réponses...

    La démarche scientifique est une méthode d'analyse de la réalité (mesurable), qui essaie de "l'expliquer" en termes d'un petit nombre de lois mathématiques. La science a à son crédit un relatif non-dogmatisme : les théories sont en sursis et doivent être réfutables pour être scientifiques ("falsifiabilité" au sens de K. Popper); une exception peut parfois suffire à remettre totalement en question une théorie scientifique (l'expérience de Michelson et l'existence de l'éther, par exemple). De plus, les scientifiques appliquent (tant bien que mal) une démarche collective cohérente menant à l'accumulation et au progrès des connaissances, contre-vérifiées et critiquées jusqu'au consensus : c'est la "cité des savants" de Bachelard. Dans ses domaines d'application, la science a un pouvoir prédictif certain et des applications pratiques évidentes. Elle fixe néanmoins des limitations à son champ de validité et ne remplace pas une perception "intuitive", "globale" du monde, qui se traduit par la mystique, la foi, etc. Ces dernières ont une problématique différente de celle de la science et ne recherchent pas l'assimilation avec elle (voir 3, plus haut).

    Les astrologues, en revanche, ont beaucoup à gagner d'un vernis scientifique, mais l'astrologie stagne depuis des siècles dans le qualitatif et l'arbitraire. Il suffit de considérer par exemple l'absence de consensus (et même de besoin de consensus) entre les différentes "écoles" : prise en compte ou non de la précession, nombre d'objets célestes à considérer, etc. Pire, l'interprétation d'un même thème par plusieurs astrologues est généralement différente. Ces divergences sont un signe convaincant du caractère de superstition arbitraire de l'astrologie, plutôt que de science.

    Le raisonnement et la preuve scientifique procèdent et résultent d'une démarche spécifique (analytique, inductive/déductive) et d'un corpus de connaissances de base associé à un système performant d'interrogation et de comparaison. Ils permettent à celui qui a reçu une formation scientifique de soumettre les nouvelles informations à cette grille d'analyse particulière, et de les intégrer ou les critiquer. Remarquons que cette démarche ne requiert pas un amalgame de connaissances encyclopédiques (faits et dates), souvent invoquées comme gages de crédibilité par les astrologues au cours des débats (voir section 7). C'est la traditionnelle opposition entre "tête bien faite" et "tête bien pleine". Il faut cependant noter la part inévitable de "croyance" dans la conduite normale de la démarche scientifique (voir la citation de Comte-Sponville [1996] en annexe), guère critiquable bien que parfois utilisée en ce sens par les astrologues.

    La difficulté éprouvée par le scientifique à convaincre l'"homme de la rue" tient à la démarche intellectuelle souvent très différente de ce dernier : même quand elle est rationnelle, cette démarche est en général méthodologiquement incorrecte. Par exemple, il peut être convaincu par les arguments des astrologues illustrant leur propos par un seul cas particulier qui marche[8], et ce d'autant mieux qu'il veut croire à l'astrologie (voir la citation de Voltaire en annexe).

    Enfin, l'homme de la rue n'est pas "demandeur" de science (d'images et de rêve, peut-être). Il est même plutôt "producteur" de schémas mentaux sur la science, forts éloignés de la réalité moderne et plus proches de l'image d'Épinal du savant du siècle dernier, poursuivant isolément ses recherches au sommet de sa tour d'ivoire (notons que cette image périmée est assez répandue chez les scientifiques eux-mêmes). Ce décalage rend le dialogue et la transmission du savoir difficiles.

    Dans ces conditions, comment faire passer le message scientifique ? Tout le problème de l'éducation du public et de la vulgarisation scientifique est posé (voir section 7).

    Mais après tout, pourquoi vouloir convaincre le public ? Pourquoi vulgariser la science ? Pourquoi combattre l'astrologie, démontrer son inanité, plutôt que de simplement laisser croire ceux qui le désirent ? La réponse nécessite un coup d'oeil sur la place de l'astrologie dans notre société.

    6 - ASTROLOGIE ET SOCIÉTÉ ou "À QUOI CA SERT ?"

    La plupart des astrologues eux-mêmes distinguent l'astrologie "sérieuse" ou "scientifique" de celle de tous les jours (les horoscopes des journaux). Cette dernière fait cependant largement recette (et on est en droit de se demander pourquoi les vendeurs de prédictions ne sont pas plus riches ?).

    Les raisons socio-psychologiques de ce succès, que nous ne pouvons qu'effleurer ici, correspondent entre autres aux besoins :

    Or, si le rôle social de l'astrologie est à la limite acceptable lorsqu'elle se présente comme une grille d'interprétation symbolique (ludique?) - même dénuée de fondement - de la réalité, voire comme une aide psychologique pour résoudre par un "hasard déguisé" ou un "arbitraire déguisé" les situations de choix subjectifs où l'analyse rationnelle ne suffit pas, il y a d'autres dérives très néfastes:

    D'autres implications politico-sociales sont moins visibles mais tout aussi perverses : la croyance en l'astrologie encourage la passivité, le conformisme, le fatalisme (le destin est écrit dans les astres). Elle remplit un rôle comparable à celui de la religion dans le passé (supportez votre esclavage ici-bas car le paradis vous attend), et l'état - outre son intérêt économique - profite à d'autres titres de ce bourrage de crâne qui décourage la réflexion critique et donc toute "subversivité". Les médias ont évidemment leur part de responsabilité en se faisant l'écho des "divinations" des astrologues et en leur donnant la parole au même titre qu'aux économistes, sociologues, politologues, et autres scientifiques.

    Si on critique le rôle social de l'astrologie (de l'astrologue), il est bon de considérer en regard celui de l'astronomie (de l'astronome). Cette dernière ne peut - et ne prétend d'ailleurs pas - fournir de réponse à l'apparente "absurdité" du monde (il y a encore de la place pour religion et spiritualités), ni servir de guide à travers les problèmes quotidiens. En revanche, elle peut aiguiser l'esprit critique et la capacité d'analyse, utiles sur le long terme pour développer la responsabilité individuelle. La planète Vénus, par exemple, jadis symbole des amoureux (et que l'astrologie prétend utiliser pour fournir une aide à la décision vis-à-vis du mariage), est en fait un enfer : température et pression écrasantes, atmosphère d'acide sulfurique; mais au-delà, elle est une leçon pour notre Terre et son atmosphère, et un encouragement à la prise de conscience de notre planète comme d'un milieu fragile et unique, à respecter et protéger, plutôt que comme d'un objet de prédation.

    Enfin (surtout?), l'astronomie peut proposer des réponses bien plus riches que celles de l'astrologie au besoin d'un lien homme-cosmos, et elle possède un indéniable potentiel à susciter l'émerveillement. Par exemple :

    - les atomes qui nous composent (les éléments plus lourds que l'Hélium) ont été fabriqués par fusion nucléaire au coeur des premières générations d'étoiles massives de notre galaxie, il y a des milliards d'années (voilà un lien profond et bien réel entre l'homme et le cosmos!).

    - le paradoxe d'Olbers (le simple constat que la nuit est noire) mène à la durée de vie finie des étoiles ("les étoiles ne sont pas assez vieilles" fut la réponse pressentie par Edgar Poe !), des galaxies et de l'Univers lui-même, et à son expansion. Les récentes poses très longues du télescope spatial Hubble ou du "New Technology Telescope" de l'Observatoire Européen Austral illustrent merveilleusement cette "quête des confins de l'Univers"[9].

    On pourrait multiplier les exemples, mais le problème est que la vulgarisation astronomique actuelle, à de rares exceptions près, se limite à la présentation (l'explication) des phénomènes et des théories. Or il paraît possible de prendre en compte les besoins du public sans trahir la rigueur de la démarche de vulgarisation. De premières tentatives en ce sens existent: les premiers ouvrages de H. Reeves [1981, 1984, 1986], les "Conversations sur l'invisible" d'Audouze et al. [1988], "Les oreilles dans les étoiles" de Boujenah et al. [1995], et quelques autres... Vulgariser plus et mieux ? La matière ne manque pas, surtout en astronomie (c'est plus difficile en physique des particules, par exemple).

    7 - COMMENT PRENDRE LE DÉBAT ?

    On ne peut donc pas se fonder sur les arguments discutés en 2.2 pour réfuter l'astrologie : problèmes des hautes latitudes, de la précession des équinoxes, du caractère tridimensionnel des constellations, ou de la 13ème constellation zodiacale "oubliée".

    Certains opposants à l'astrologie ont soulevé des questions pertinentes du genre : "l'horoscope de l'instant de la conception ne devrait-il pas être substitué à celui de la naissance ?" - en effet, l'instant considéré comme début de la vie a évolué, contrairement à la démarche astrologique (peut-être parce que l'instant de la conception est particulièrement difficile a déterminer). D'autres ont tenté d'illustrer l'absurdité de l'hypothèse astrologique en la comparant à une nouvelle "science" inventée de toutes pièces (qui corrélerait les destinées humaines à la position des avions de ligne dans le ciel, par exemple - voir [Fraknoi, 1989]).

    Bien qu'on ait insisté plus haut sur le fait que ce n'est pas à l'astronome de tenter de démonter l'astrologie (ni au scientifique en général de partir en croisade contre tous les types d'escroqueries para-scientifiques), il est parfois acculé au débat, notamment par les questions du public ou l'organisation de débats publics, par exemple télévisés. Nous pensons qu'il ne sert à rien de faire l'autruche en refusant de participer à de tels débats. En revanche, il faut y être un peu préparé, car l'astrologue est souvent plus expert en communication avec le public (puisque c'est une nécessité de sa pratique). Il n'y a évidemment pas de recette type, mais nous donnons ci-dessous quelques conseils tirés de nos expériences, et mentionnons certains pièges a éviter :

  • se méfier des connaissances souvent encyclopédiques des astrologues (noms, faits et dates de l'histoire de l'astronomie) qui le font apparaître comme plus "expert" en astronomie que l'astronome; il est vain d'essayer de prendre l'astrologue à son propre jeu, sauf si l'on est soi-même une encyclopédie vivante de l'astronomie; une meilleure réponse à ce type d'argument passe par l'explication de la démarche et du raisonnement scientifique (discussion "tête bien faite" ´ "tête bien pleine" de la section 5).
  • éviter d'utiliser de mauvais arguments aisément réfutables par les astrologues : horoscopes identiques pour un grand nombre d'individus (2.1.2), problème des hautes latitudes (2.2.1), précession des équinoxes et correspondance zodiaque ´ constellations, nature tridimensionnelle des constellations vues en projection sur le ciel, 13ème signe (2.2.2); ne pas faire d'amalgame discutable entre astrologie, divination, voyance... (cf. l'erreur tactique de la section 3).
  • réclamer systématiquement aux astrologues les justifications et les preuves de leur pratique, s'ils la prétendent scientifique (plutôt que de tenter de faire la démonstration précise mais complexe, à l'aide de statistiques et de considérations physiques incompréhensibles par le commun des mortels, que l'astrologie n'est fondée sur rien et ne fonctionne pas); relever dans un langage simple (pas de jargon) les inexactitudes et incohérences de leurs réponses; les sections 2, 3 et 4 devraient fournir des arguments de poids : aucune explication physique n'est actuellement disponible ni même en vue, le chaos efface toute possibilité de prédiction fiable, etc.
  • profiter du temps économisé sur les démonstrations ci-dessus pour parler des succès et des attraits de l'astronomie (et de la science en général).
  • insister si possible sur les questions d'éthique et d'argent (section 6), auquel le public est sensible.
  • et puis, tout bêtement, garder le sourire, éviter de s'énerver (pour ne pas étayer l'image de l'aride scientifique !), et si possible faire preuve d'humour : on mettra les rieurs de son côté (voir par exemple le sketche "L'horoscope" de R. Devos [1968]).
  • Dans tous les cas, il ne faut surtout pas sous-estimer l'auditoire ! Tous ceux qui croient à l'astrologie ne sont pas des ignorants, des demeurés, ou des escrocs ! Beaucoup sont sincèrement convaincus (même parmi les astrologues). Après tout, nous connaissons tous des collègues qui se soignent par homéopathie !

    8 - CONCLUSION 

    L'astrologie propose son interprétation d'un vieux rêve : celui du lien de l'homme avec le cosmos. Malheureusement, cette interprétation est infondée et "frelatée", et de plus sujette à de multiples formes d'exploitation critiquables. L'astronome, souvent interpellé et/ou associé à son corps défendant, se doit de la combattre. Pour le faire efficacement, il est nécessaire de connaître ce que l'on combat, et de séparer les bons arguments de ceux qui sont trop aisément réfutables par les astrologues.

    Mais surtout, les astronomes sont capables de proposer une bien meilleure réponse à ce vieux rêve des hommes, s'ils veulent bien s'en donner la peine, et vulgariser à la fois plus et mieux. Il s'agit de porter l'information scientifique auprès du public, de façon rigoureuse mais aussi intelligible et attrayante (en évitant toutefois la dérive d'une démarche de communication publicitaire et auto-dithyrambique, comme la pratique la NASA par exemple).

    Si l'apparition de nombreux ouvrages de vulgarisation de qualité traduit un réel effort d'information et d'éducation[10], un important travail de forme (accessibilité et attrait du discours) nous semble encore nécessaire de la part des astronomes et des scientifiques en général.

    Le but de ces efforts devrait être d'intégrer le citoyen à la "communauté des savants". C'est un enjeu vital pour tout le monde : les savants à court terme (crédits, utilité, reconnaissance...), et les citoyens à plus long terme; la science n'est a priori ni bonne ni mauvaise, mais les citoyens ne pourront influer sur l'utilisation qui en est faite que s'ils sont suffisamment informés.

     

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    Remerciements

    Nous remercions Françoise Roques pour avoir organisé à l'Observatoire de Meudon la conférence à l'origine de cet article, et pour nous avoir poussés à le rédiger. Les remarques de nombreux collègues, au cours du débat suivant la conférence ou parvenues ultérieurement, nous ont été très utiles; qu'ils en soient remerciés.

    ANNEXE : Citations

  • André Comte-Sponville, "A propos du négationnisme", L'Express, 30/5/96.
  • "Ce qu'il faut rappeler d'abord, contre ces âneries [des négationnistes] c'est qu'aucune connaissance n'est possible sans un certain nombre de croyances bien établies. Nul ne peut tout vérifier, tout contrôler, tout examiner. Comment la biologie pourrait-elle se développer si chaque biologiste devait refaire lui-même toutes les expériences, s'il devait vérifier les connaissances physiques ou chimiques dont il se sert, s'il devait démontrer chacun des théorèmes mathématiques qu'il utilise ? La " cité des savants ", comme disait Bachelard, ne peut progresser que par la convergence de plusieurs disciplines, chacune complétant l'autre, en amont ou en aval, et l'ensemble produisant - à coups de rectifications permanentes - ce consensus si remarquable des scientifiques d'abord, puis, autour d'eux, grâce à eux, des esprits informés. C'est ainsi que nous savons que la Terre tourne autour du Soleil ou que l'eau est constituée de deux atomes d'hydrogène pour un atome d'oxygène. Connaissance ? Croyance ? L'une et l'autre - c'est ce que j'appelle une croyance bien établie, et qui distingue le savoir de la religion. Celui qui voudrait revenir au géocentrisme de Ptolémée ou aux éléments des anciens alchimistes, ce n'est pas la foi qui lui manquerait ; c'est la culture, et c'est le sérieux."

  • Voltaire (à propos des cas particuliers de prédictions qui marchent).
  • "Un astrologue ne saurait avoir le privilège de se tromper toujours".

     

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    QUELQUES RÉFÉRENCES

  • J. Audouze, M. Cassé & J.-C. Carrière, "Conversations sur l'invisible", Belfond, 1988.
  • I. Azevedo, P. Pinto-do-O & N. Borges, Nature, 376, p. 381, 1995.
  • A. Baxer-Jones & P. Helms, Nature, 370, p. 186, 1994.
  • P. Bianucci, "La Lune", Bordas, Paris, 1990.
  • M. Boujenah, D. Kunth & J. Lanzmann, "Les oreilles dans les étoiles", Ramsay, 1995.
  • S. Carlson, "A double-blind test of astrology", Nature, 318, pp. 419-425, 1985.
  • M. Colinon & P. D'Izarn, Historia, Special N°34, 1974.
  • A. Comte-Sponville, L'Express, p. 157, 30 Mai 1996.
  • Couderat, Thèse, Faculté de Médecine de la Pitié-Salpétrière, Paris VI, 15 Mai 1992.
  • P. Couderc, "L'astrologie", Que Sais-Je ?, Presses Universitaires de France, 1974. (épuisé et remplacé sous le même titre par: S. Fuzeau-Braesch, P.U.F., 1989, qui est un plaidoyer pro-astrologie !).
  • R. Culver & P. Ianna, "Astrology: true or false", Prometheus books, New-York, 1988.
  • G. Dean, "Recent advances in natal astrology", Analogic, 1977.
  • R. Devos, "L'horoscope", in "Ca n'a pas de sens", Denoël, 1968.
  • D. Di Cicco, "Astrology faces the Gemini Challenge", Sky & Telescope, p. 149, Août 1989.
  • A. Dudink, Nature, 368, p. 592, 1994.
  • S. Edwards, Nature, 370, p. 186, 1994.
  • A. Fraknoi, "Your astrology defense kit", Sky & Telescope, pp. 146-150, Août 1989.
  • S. Fuzeau-Braesch, "Pour l'astrologie: réflexions d'une scientifique", Albin Michel, Paris, 1996.
  • M. Gauquelin, "L'astrologie devant la science", Éd. Planète, 1955.
  • M. Gauquelin, "The scientific basis of astrology", Stein and Day, New york, 1966.
  • M. & F. Gauquelin, "Birth and planetary data of 15560 successful professionals", 6 vol., LERRCP, 1970.
  • T. Gotoda, Nature, 377, 672, 1995.
  • A. Gurshtein, "When the zodiac climbed into the sky", Sky & Telescope, pp. 28-33, Octobre 1995.
  • D. C. Heggie, "Megalithic Science", Thames & Hudson, New-York, 1981.
  • Nelson, RCA Review, Mars 1951 (effets planétaires sur l'activité Solaire).
  • J.-C. Pecker, La Recherche, 140, pp. 118-128, Janvier 1983.
  • H. Reeves, "Patience dans l'azur", Seuil, 1981; "Poussières d'étoiles", Seuil, 1984; "L'heure de s'enivrer", Seuil, 1986.
  • S. Ruphy & J.-M. Huré, La Recherche, pp. 84-87, Décembre 1996.
  • Science & Vie, 611, Août 1968 (canular).
  • Skeptical Inquirer, CSICOP, New-York (N°5-2, 1980; N°6-1, 1981; N°6-6, p. 32, 1981; Hiver 1986-87, p. 166; Printemps 1987, p.257; Automne 1988, p.3)
  • Thurston, "Early Astronomy", Springer, 1994.
  • M. Treillis, C.R. Acad. Sciences, 262, p. 312 & p. 376, 1966 (effets planétaires sur l'activité Solaire).
  • S. Von Hoerner, Sterne und Weltraum, Mars 1996.
  • P. Zarka, "Auroral emissions from outer planets: observations and theories", J. Geophys. Res., sous presse, 1998.
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    NOTES

    1 - Entre 1982 et 1993, le pourcentage de personnes répondant "Oui" à la question

    est passé de 36% à 46%, et à la question

    de 23% à 29% [source CEVIPOF].

    Le CEVIPOF, Centre d'Étude de la VIe POlitique Française, est un laboratoire CNRS / FNSP (Fondation Nationale des Sciences Politiques). D. Boy et G.Michelat y étudient depuis 1982 l'attitude des Français envers les parasciences, en particulier à partir d'enquêtes de la SOFRES.

    On pourra consulter :

    2 - La publication d'ouvrages d'astrologie ou pro-astrologie est un commerce florissant et en plein essor, régulièrement relayé par des articles et "dossiers" complaisants dans la presse grand public (voir par exemple l'"Enquête sur l'Astrologie", dans L'Express du 22/5/1997). Le nouvel an (même chinois !) et les vacances d'été sont l'occasion d'"explosions" journalistiques sur le sujet. Des sites Internet pro-astrologie (dont nous ne communiquons pas ici les coordonnées!) se développent également.

    3 - Le jeu "Astro-Loto", l'un des derniers-nés de la "Française des Jeux", exploite la crédulité du public et encourage l'obscurantisme. Il a occasionné une pétition envoyée à son Ministère de Tutelle (Économie, Finances et Industrie), à d'autres ministères (Éducation Nationale, Recherche et Technologie & Culture et Communication), ainsi qu'à la presse. Elle a reçu jusqu'ici une fin de non-recevoir de la part de la "Française des Jeux".

    4 - L'utilisation malheureuse d'arguments comme la prétendue absence d'horoscope pour les individus nés au delà du cercle polaire (voir la discussion en 2.2.1) fragilise l'argumentaire - en général excellent - des articles s'opposant à l'astrologie (voir par exemple [Pecker, 1983] ou [Ruphy & Huré, 1996]).

    5 - Au 18ème siècle, le signe était indiqué par son symbole astrologique. Ensuite, il l'a été par un nombre de 0 à 11. Par exemple, dans la "Connaissance des Temps" pour l'année 1833, la longitude de la Lune le 1er Juin à midi est notée : 7.28.30.11,4. Cela se traduit par : 28° 30' 11.4" après le début du Scorpion (8ème signe, numéroté 7). Nous écririons aujourd'hui 238° 30' 11.4". Il est pourtant clair qu'on ne peut guère suspecter les astronomes de 1833 d'avoir ignoré la précession !

    6 - Ce mouvement de précession résulte de l'attraction du Soleil et de la Lune sur le bourrelet équatorial terrestre.

    7 - Comparaison de l'intensité de la force de gravitation (proportionnelle à Masse/Distance2) et de la force de marée (proportionnelle à Masse/Distance3) exercée par la Lune, le Soleil, les planètes (au plus près de la Terre), la Tour Eiffel ou une montagne (à ~1 km), et le médecin accoucheur (à 1 m) sur un être humain nouveau-né :

    Masse (kg)

    Distance (m)

    Force de gravitation

    (Lune=1)

    Force de marée

    (Lune=1)

    Lune

    7 ¥ 10^22

    4 ¥ 10^8

    1

    1

    Soleil

    2 ¥ 10^30

    1.5 ¥ 10^11

    200

    0.5

    Mercure

    3 ¥ 10^23

    9 ¥ 10^10

    1 ¥ 10^-4

    4 ¥ 10^-7

    Vénus

    5 ¥ 10^24

    5 ¥ 10^10

    5 ¥ 10^-3

    4 ¥ 10^-5

    Mars

    6 ¥ 10^23

    8 ¥ 10^10

    2 ¥ 10^-4

    1 ¥ 10^-6

    Jupiter

    2 ¥ 10^27

    6.5 ¥ 10^11

    1 ¥ 10^-2

    6 ¥ 10^-6

    Saturne

    6 ¥ 10^26

    1.5 ¥ 10^12

    6 ¥ 10^-4

    2 ¥ 10^-7

    Uranus

    9 ¥ 10^25

    3 ¥ 10^12

    2 ¥ 10^-5

    3 ¥ 10^-9

    Neptune

    1 ¥ 10^26

    4.5 ¥ 10^12

    1 ¥ 10^-5

    9 ¥ 10^-10

    Pluton

    1 ¥ 10^22

    6 ¥ 10^12

    6 ¥ 10^-10

    14

    Montagne

    ~10^12

    2000

    0.5

    100 000

    Tour Eiffel

    ~2 ¥ 10^8

    500

    2 ¥ 10^-3

    1 600

    Médecin accoucheur

    ~ 100

    (il est gros !)

    1

    2 ¥ 10^-4

    80 000

    8 - Dans un Paris-Match de 1997, on pouvait lire au sujet du gagnant de 69 MF au loto : "Son horoscope l'avait prédit : 'Succès pour les Balance' ". Or, pour ce tirage, il y a eu environ 12 millions de grilles jouées, donc un million par des Balance, parmi lesquels 999999 n'ont pas gagné le gros lot. sic !

    9 - Voir par exemple les sites suivants sur l'Internet, pour les images récentes du "New Technology Telescope" de l'Observatoire Européen Austral :

    et pour le télescope spatial Hubble :

    10 - Le Prix du livre d'Astronomie du Festival d'Astronomie de Haute-Maurienne (Vanoise) récompense chaque année le meilleur ouvrage d'astronomie pour le grand public publié l'année précédente en langue française (avec un prix spécial pour les ouvrages destinés aux "juniors").

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    François Biraud est Directeur de Recherches au C.N.R.S. (en retraite), à l'Observatoire de Paris, Département ARPEGES (Unité de recherche associée au CNRS N°1757),92195 Meudon.

    Philippe Zarka est Chargé de Recherches au C.N.R.S., à l'Observatoire de Paris, DESPA (Département de recherche spatiale, Unité de recherche associée au CNRS N°264), 92195 Meudon.

    Tous deux ont l'expérience de débats (télévisés, notamment) avec des astrologues.

    Ce texte a pour origine la conférence "ASTRONOMIE / ASTROLOGIE : LE DÉBAT !" donnée par les auteurs le 7 Avril 1997 à l'Observatoire de Meudon.

    F. Biraud & P. Zarka, le 17 Février 1998.


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