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Introduction & résumé

« Dis-moi, la lune,
T'habites un coin qu'on n'voit pas bien,
mêm' quand on met nos grosses lunettes... »

Léo Ferré

La magnétosphère jovienne interne est peuplée de particules chargées, en corotation partielle avec Jupiter et soumises au puissant champ magnétique de cette planète, formant en particulier entre tex2html_wrap_inline3318 et 10 tex2html_wrap_inline3218 (rayon jovien) un nuage de plasma à peu près toroïdal qu'il est convenu d'appeler le tore de plasma d'Io.
Détecté depuis la terre dès 1976 grâce à des observations de raies d'émission d'ions soufre tex2html_wrap_inline3322 [Kupo et al., 1976], mais observé in situ pour la première fois gif en 1979 par la sonde spatiale Voyager 1, ce plasma est en effet principalement produit par le satellite Io, bien que les mécanismes physiques à l'oeuvre pour arracher cette matière de l'atmosphère volcanique d'Io, pour l'ioniser et la transporter de part et d'autre de l'orbite d'Io (à tex2html_wrap_inline3324 ) sous le «contrôle» du champ magnétique de Jupiter, soient encore très mal compris. Une première raison à cela tient naturellement à la difficulté d'appréhender un phénomène qui met en jeu une si grande variété de processus physico-chimiques, à la frontière de l'aéronomie et de la physique des plasmas. Une autre raison est la rareté des mesures in situ (3 passages de sondes gif depuis Voyager 1 à quelques années d'intervalle) avec pour principale conséquence un manque de contrainte sur les hypothèses généralement avancées pour expliquer la structure physico-chimique et la stabilité (ou non) du tore. Quant aux observations faites depuis la Terre, elles ont plutôt ajouté à la complexité du phénomène en mettant par exemple en évidence des dissymétries azimutales persistantes [Schneider and Trauger, 1995, par ex. ,] (autrement dit le tore n'est pas tout à fait un tore de révolution) ainsi que des variations temporelles [Thomas, 1993, revues dans,] à moyen ou long terme, que les sondes ne pouvaient évidemment pas révéler.
Quoi qu'il en soit, le tore de plasma d'Io existe, on l'a rencontré à plusieurs reprises gif, en particulier la sonde spatiale européenne Ulysse, le 8 février 1992. Cette rencontre entre Ulysse et Jupiter fut le point de départ de cette thèse qui a deux objectifs :
1) Extraire le plus d'informations possible des observations faites par Ulysse lors de son passage au plus près de Jupiter ( tex2html_wrap_inline3326 ). Rappelons qu'Ulysse est une sonde d'exploration solaire hors-Écliptique, ce qui a eu en l'occurrence deux conséquences, bonne et mauvaise : la mauvaise est que les instruments d'Ulysse ne sont pas bien adaptés à la mesure dans la magnétosphère jovienne et qu'il a vraiment fallu s'acharner sur les observations disponibles pour en tirer des paramètres physiques. La bonne conséquence, qui justifiait que l'on s'acharnât, est que la traversée du tore d'Io s'est accomplie sur une orbite exceptionnelle gif, quasiment nord-sud et a fourni pour la première fois et probablement pour longtemps la seule «coupe» méridienne du tore de plasma d'Io.
2) Déterminer si une «certaine» structure spatiale a perduré entre les observations in situ du tore, et dans ce cas, construire un modèle de structure 3-D du tore bien étayé physiquement et «fédérateur» de ces différentes mesures. Cette approche doit permettre d'une part de comprendre la physique de base qui détermine l'organisation du tore dans la magnétosphère jovienne et d'autre part de distinguer dans ce tore de plasma ce qui est temporellement stable de ce qui est vraisemblablement lié aux variations météorologiques (au sens le plus large) d'Io et de Jupiter. Ajoutons qu'au delà de la légitime ambition de comprendre «comment ça marche», il est aussi nécessaire de modéliser le tore de plasma d'Io en 3 dimensions pour pouvoir étudier et interpréter les émissions radio de Jupiter observées depuis la Terre, dont on sait qu'elles sont contrôlées et/ou produites par ce tore de plasma [Kaiser, 1993, par ex.,].
Le premier objectif - l'exploitation des observations d'Ulysse - m'a donné du fil à retordre mais a été plus qu'atteint : on a pu déduire des spectres radio les densités et surtout les températures des électrons avec des précisions de 15 à 20%, précisions suffisantes pour établir que les températures électroniques variaient fortement avec la latitude, ce qui constitue une véritable découverte. En effet, jusqu'au passage d'Ulysse près de Jupiter, la plupart des connaissances quantitatives de la structure spatiale du tore d'Io (densités et températures) provenaient des mesures faites par Voyager 1. Or cette sonde est restée à peu près dans le plan équatorial du tore, de sorte que, dans les modèles à deux dimensions, seule la structure radiale reposait sur des mesures in situ, tandis que la structure latitudinale était calculée à partir d'hypothèses plausibles mais non vérifiées expérimentalement. Ces modèles de densité [Bagenal and Sullivan, 1981, Divine and Garrett, 1983, Bagenal, 1994] ont été largement utilisés pour préparer la visite de la sonde Galileo qui, comme Voyager, ne s'est guère éloignée de l'équateur. En revanche Ulysse a traversé le tore d'Io le long d'une trajectoire presque nord-sud et a exploré plusieurs échelles de hauteur de part et d'autre de l'équateur du tore, tout en restant sur les 2/3 de sa trajectoire à peu près sur une même coquille magnétique ( tex2html_wrap_inline3328 ). La variation significative de la température des électrons le long de cette trajectoire contredit l'hypothèse, fondatrice de tous les modèles précédents, de l'équilibre thermique du plasma (espèce par espèce) le long des lignes de force magnétiques et infirme le modèle de confinement équatorial des particules qui en découlait.

Après cette découverte, le deuxième objectif annoncé de la thèse - comprendre et modéliser le tore spatialement - a été réduit (d'au moins une dimension) et surtout, l'approche de cet objectif a changé. En effet, notre intention première (c'est-à-dire avant l'obtention de la température électronique) était d'utiliser les densités vues par Ulysse pour donner une échelle de hauteur gaussienne de la variation densité/latitude, dans le cadre d'un modèle classique fondé sur l'équilibre diffusif du plasma le long des lignes de champ (ce qu'on a fait dans [Hoang et al., 1993]) et de se concentrer, pour construire un modèle de densité, sur la compréhension du mécanisme de diffusion radiale du plasma et éventuellement l'analyse des dissymétries de révolution. Mais l'hypothèse d'équilibre thermique local (qui implique une température constante le long des lignes de champ) s'avérant fausse, ce scénario a changé : il a fallu d'une part expliquer les résultats inattendus d'Ulysse et d'autre part proposer un nouveau modèle de structure latitudinale (ou confinement) du tore qui tienne compte de ces résultats. C'est finalement ce travail d'explication théorique et de modélisation du confinement du tore qui va constituer l'essentiel de la deuxième partie de cette thèse. Pour la structure radiale, on se contentera comme dans [Bagenal, 1994] d'une description empirique (fondé sur des profils de densité mesurés et supposés indépendant de la longitude) sans chercher à expliquer les mécanismes physiques qui font diffuser le plasma radialement. Néanmoins, notre nouveau modèle permettra, comme c'était notre ambition, d'expliquer et fédérer plusieurs mesures in situ et ainsi d'apprécier la stabilité temporelle du tore de plasma d'Io.

Pour expliquer la variation observée de la température électronique, qui augmente avec la latitude et est anticorrélée à la densité, nous invoquons un mécanisme dit de «filtrage des vitesses», proposé par [Scudder, 1992a]&b dans un tout autre contexte. Ce mécanisme est à l'oeuvre dès lors que le plasma étudié est à la fois soumis à une force dérivant d'un potentiel attractif (ici la force centrifuge due à la corotation), et n'est pas à l'équilibre thermique de Maxwell-Boltzmann. On peut en donner l'explication préliminaire suivante : les particules sont confinées dans le puits de potentiel (qui définit ici l'équateur centrifuge) et puisque les particules les plus énergétiques s'échappent plus facilement, leur proportion est plus grande en dehors du puits de potentiel, et donc l'énergie cinétique moyenne des particules augmente avec la latitude centrifuge tandis que la densité diminue. Ce filtrage des vitesses n'a pas lieu avec une distribution maxwellienne des vitesses parce que dans ce cas le potentiel «filtre» toutes les particules de la même façon gif. Ce mécanisme de filtrage des vitesses fait ici merveille pour expliquer les mesures des densités et températures électroniques obtenues sur la trajectoire quasiment nord-sud d'Ulysse [Meyer-Vernet, Moncuquet and Hoang, 1995]. Pour obtenir un modèle quantitatif, on a utilisé une distribution d'énergies empirique, fréquemment rencontrée dans les plasmas naturels [Olbert et al., 1968], appelée distribution lorentzienne généralisée ou distribution «kappa» (notée encore tex2html_wrap_inline3228 -distribution), et qui permet de décrire simplement et de manière réaliste un plasma stable hors équilibre thermique.
Ainsi, l'augmentation des températures le long des lignes de champ est incompatible avec l'équilibre thermique local des électrons, mais peut en revanche s'expliquer par la permanence d'une population d'électrons suprathermiques dont les énergies décroissent en loi de puissance comme dans une tex2html_wrap_inline3228 -distribution. La permanence d'une telle population est compatible avec le fait que le plasma du tore est très peu collisionnel et n'a effectivement pas beaucoup de raisons de relaxer rapidement vers l'équilibre thermique.

Ces résultats d'Ulysse ne concernent malheureusement que les électrons, alors que l'organisation spatiale du tore dans le potentiel centrifuge est principalement contrôlée par les ions gif qui sont beaucoup plus massifs. Néanmoins, l'argument d'absence d'équilibre qui vaut pour la distribution des électrons doit valoir a priori pour les ions : leur libre parcours moyen est environ 6 fois plus grand que celui des électrons et on s'attend donc encore moins à ce qu'ils thermalisent. Bien entendu, leurs distributions d'énergies initiales peuvent être très complexes, car elles sont liées au mécanisme de pick-up gif (ou d'assimilation) des neutres ( qui sont «brutalement» ionisés dans leur mouvement keplerien autour de Jupiter et les ions ainsi formés se retrouvent prisonniers des lignes de champ, en corotation avec Jupiter). On trouve dans la littérature un choix abondant de ces distributions de pick-up mais aucune n'a été vérifiée expérimentalement. Quoi qu'il en soit, le mouvement des ions assimilés est déterminé par l'action du fort champ magnétique de Jupiter et va se caractériser par un comportement certes très différencié entre les particules évoluant parallèlement ou perpendiculairement au champ, c'est-à-dire anisotrope, mais qui va relaxer dans chaque direction (sinon tendre vers l'équilibre thermique) lorsqu'on «s'éloigne» (en espace et en temps) du lieu d'assimilation des neutres.
Le modèle de structure (en densité et température) que nous proposons ici sera donc construit par analogie avec ce que nous observons pour les électrons, c'est-à-dire à l'aide de distributions kappa mais en y ajoutant la possibilité d'une (forte) anisotropie de température, puisqu'elle est soupçonnéegif d'être importante pour les ions, à cause du mécanisme d'assimilation des neutres dans un plasma en corotation (esquissé ci-dessus). Cela m'a naturellement conduit à utiliser des distributions kappa dans deux directions, parallèle et perpendiculaire au champ magnétique (que nous appellerons «bi-kappa»), pour modéliser les différentes populations d'ions. À cet égard ce modèle repose comme les précédents sur des hypothèses plausibles mais non vérifiées expérimentalement - moins une cependant, celle de la température supposée constante avec la latitude - en particulier à cause de la méconnaissance des «vraies» distributions d'énergies des ions (une façon de remédier à cela serait par exemple de «revisiter» les données des analyseurs de particules de Voyager 1 en ajustant ces distributions bi-kappa, ce qui est hors du cadre de cette thèse, mais est en cours).
La résolution du système d'équations, obtenu en décrivant le plasma du tore à l'aide de ces distributions bi-kappa anisotropes, n'aboutit qu'à donner la variation des densités en fonction de la latitude (avec cependant en prime, par rapport aux modèles isothermes, la variation des températures le long des lignes de champ). Il faut encore, pour obtenir un modèle digne de ce nom, soit bâtir un modèle théorique de diffusion radiale (je mentionne cela pour mémoire, car je n'aborderai pas cette possibilité qui constitue en soi un vaste et difficile sujet [Ferrière and Blanc, 1996, par ex.,]), soit se donner empiriquement un profil radial de densité à partir des mesures disponibles, c'est-à-dire pour le moment celles de Voyager 1, et bientôt, je l'espère, celles de Galileo. Avec un choix arbitraire des kappa des ions et des anisotropies, en se dotant de plus d'un bon modèle de champ magnétique gif, on obtient finalement un modèle 2-D des densités et des températures pour chacune des espèces de particules détectées dans le tore.
Une vérification de la validité d'un tel modèle consiste à tester sa capacité de prédiction pour quelques mesures in situ (autres que celles qui ont servi de base empirique au modèle, évidemment !). On verra que des mesures obtenues par troisgif des quatre sondes gif qui ont visité le tore (ou sa banlieue) peuvent être expliquées à la lumière de ce nouveau modèle. Notamment, on montre que l'augmentation importante de la température des ions mesurée par Voyager 1 à partir d'environ 9 tex2html_wrap_inline3218 , inexpliquée jusqu'à maintenant, pourrait bien être due à l'élévation en latitude de la sonde à cette distance et donc à un effet de filtrage des vitesses «vu» le long de sa trajectoire. On montre aussi que la densité électronique, relativement élevée, mesurée par Ulysse assez loin du tore (au delà de l'orbite d'Europe et à quelque 20° de latitude centrifuge) est correctement prédite par notre modèle, ainsi d'ailleurs que celle mesurée à des distances et latitudes comparables par Voyager 2. Enfin, si Galileo a mesuré des densités électroniques étonnamment élevées gif près de l'orbite d'Io et difficiles à interpréter pour le moment, on peut constater qu'en s'éloignant de ce lieu «tourmenté», les électrons sont globalement plus confinés près de l'équateur et moins raréfiés que prévu aux plus hautes latitudes [Gurnett et al., 1996, par ex.,]; on verra dans cette thèse gif que notre nouveau modèle modifie les prédictions de densité des modèles précédents dans ce sens.
Tel qu'il se présente à la fin de cette thèse, ce modèle n'est prédictif que dans une seule dimension, celle de l'extension du tore en latitude, et reste empirique pour l'extension radiale (fondé sur les données de Voyager 1, et supposé symétrique azimutalement). Mais il remet en cause ce qui était considéré à tort avant Ulysse comme la structure la mieux comprise du tore de plasma d'Io, à savoir son confinement de part et d'autre de l'équateur centrifuge. Il constitue aussi pour les radio-astronomes jovitropes gif une amélioration des modèles empiriques existants en donnant une vue plus réaliste de l'extension latitudinale du tore.




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Michel Moncuquet
Tue Jan 13 19:37:26 MET 1998