ARPEGES, UMR 8644, Observatoire de Paris, 92195 Meudon
Article proposé par:
Dominique Bockelée-Morvan, Tél. 01 45 07 76 05,
E-mail : Dominique.Bockelee@obspm.fr
Jacques Crovisier, Tél. 01 45 07 75 99,
E-mail : Jacques.Crovisier@obspm.fr
Ont également participé à ce travail N. Biver, P. Colom, D. Gautier, E. Gérard, E. Lellouch (Observatoire de Paris), D. Despois (Observatoire de Bordeaux), R. Moreno, G. Paubert, J. Wink (Institut de radio astronomie millimétrique) et plusieurs équipes étrangères.
En nous permettant d'étudier la matière dans des conditions extrêmes de température et de pression, les comètes constituent des laboratoires de physique exceptionnels. Leurs noyaux étant restés pratiquement inaltérés depuis leur création, elles sont également la pierre de touche de tous les scénarios de formation du Système Solaire.
L'apparition de la comète C/1995 O1 (Hale-Bopp) a constitué un événement exceptionnel. Il s'agit en effet d'une comète particulièrement brillante -- jusqu'à cent fois plus que la comète de Halley -- qui est restée visible à l'œil nu pendant plusieurs mois. Aucun objet de cette classe n'avait encore bénéficié des moyens de l'astronomie moderne. Parmi les nombreux résultats nouveaux obtenus sur cette comète, nous nous concentrons ici sur les observations de nouvelles molécules dans les domaines radio et infrarouge qui nous permettent de cerner la composition des noyaux cométaires et les processus physico-chimiques qui se déroulent dans leurs atmosphères.
Les comètes sont des agrégats de glaces et de grains
réfractaires, de quelques kilomètres de diamètre, dont l'origine
et l'histoire sont encore très mal connues. Rappelons que
lorsqu'une comète s'approche du Soleil, les glaces se subliment,
conduisant à la formation d'une atmosphère -- la coma -- et à
la libération des grains. Ces derniers vont former une queue de
poussières. C'est cette dernière qui rend parfois les comètes
si spectaculaires et populaires.
Elles se sont formées il y a 4,5 milliards d'années, en même
temps que le Soleil, et sont, avec les astéroıdes, les descendants
directs des petits corps qui ont donné naissance aux planètes.
Ayant peu évolué depuis leur formation, les comètes sont
considérées comme les échantillons les plus représentatifs du
Système Solaire primitif. En effet, préservées d'échauffement
interne et sans gravité propre, à l'encontre des planètes, elles
n'ont pu subir de différenciation. Parce qu'elles se sont formées
dans des régions très reculées et ont passé la plus grande
partie de leur vie loin du Soleil, elles ont pu piéger de nombreux
éléments volatils de la Nébuleuse Solaire sous forme de glaces,
qu'elles ont gardées intactes par la suite. Le retour de tels
objets dans le Système Solaire interne nous offre donc la
possibilité appréciée d'étudier la composition chimique de la
Nébuleuse Solaire primitive telle qu'elle était il y a 4,5
milliards d'années. L'enjeu est de savoir si de tels objets ont pu
incorporer plus ou moins intacts des grains interstellaires, ou si
leur matière a perdu la mémoire de ses origines interstellaires en
subissant des transformations chimiques profondes dans la Nébuleuse
Solaire primitive. L' étude des propriétés physiques des noyaux
cométaires nous renseigne sur les mécanismes qui ont donné lieu
à leur agglomération.
En 1986, une flottille de sondes spatiales avait exploré la comète
de Halley, observant directement son noyau et étudiant in situ la
composition du gaz et de la poussière de son atmosphère. À la
suite de ces études, complétées par les observations au sol de
quelques comètes brillantes apparues au début des années 90, un
nombre limité de molécules constituant les glaces cométaires
étaient identifiées de manière sûre: H2O, CO, CO2,
H2CO, CH3OH, HCN, H2S.
Un événement cométaire exceptionnel a eu lieu en 1996 avec la
comète C/1996 B2 (Hyakutake) qui passa à seulement 0,10 UA (unité
astronomique, soit 1 UA = 150 millions de km) de la Terre fin mars.
Bien qu'elle soit d'une taille et d'une activité modestes et que sa
découverte tardive n'ait laissé aux astronomes que quelques
semaines pour organiser leurs observations, la proximité de cette
comète a conduit à plusieurs résultats nouveaux.
La comète Hale-Bopp a été découverte fin juillet 1995, alors
qu'elle était encore à 7 UA du Soleil et déjà très active.
Elle est passée au périhélie (point le plus près du Soleil),
à 0,9 UA du Soleil, le 1er avril 1997. Cela a laissé le temps aux
astronomes d'organiser les observations. Il a été possible de
suivre, de 7 à 0,9 UA, l'évolution de la comète et l'apparition
successive des différentes molécules sublimées des glaces
cométaires. Une telle étude n'avait jamais pu être faite
auparavant.
Dès sa découverte, la comète Hale-Bopp a été
régulièrement suivie avec les radiotélescopes de l'IRAM
(Institut de radioastronomie millimétrique ; une antenne unique de
30 m en Espagne et un interféromètre de 5 antennes de 15 m sur le
Plateau de Bure, dans les Hautes Alpes), du JCMT (James Clerk Maxwell
Radiotélescope ; une antenne de 15 m sur le Mauna Kea, à
Hawaı), du CSO (Caltech Submillimeter Observatory ; une antenne
de 10 m, également à Hawaı), du radiotélescope
décimétrique de Nançay (Cher), puis du SEST (Submillimetre
ESO-Swedish Telescope) au Chili.
À la distance héliocentrique de 6,6 UA, déjà, le monoxyde de
carbone a été identifié. À cette distance, la température
de la surface du noyau est insuffisante pour permettre une sublimation
efficace de l'eau, le composant principal des glaces. La sublimation
de molécules plus volatiles est donc nécessaire pour expliquer une
activité si loin du Soleil. Au fur et à mesure que la comète
s'est approchée du Soleil, se sont ensuite successivement
révélées les molécules CH3OH, OH (radical indicateur de
H2O), HCN, H2S, CS (radical indicateur de CS2), H2CO,
CH3CN. Les mesures de production gazeuse de ces molécules
(Fig. 1) ont permis d'établir que l'on est passé d'une activité
gouvernée par la sublimation de CO à une activité gouvernée
par celle de l'eau à environ 3 UA du Soleil. La confrontation de
ces mesures à des simulations numériques qui examinent la
diffusion de la chaleur et des gaz dans un noyau poreux soumis au
rayonnement solaire (recherche menée au Laboratoire de glaciologie
et de géophysique de l'environnement à Grenoble) permet de
contraindre l'état physique des glaces à l'intérieur du noyau et
les processus de sublimation/recondensation qui s'y déroulent et qui
conduisent à une différenciation chimique des couches les plus
extérieures. Plusieurs questions, directement liées à l'origine
des glaces cométaires, sont soulevées, en particulier: 1) la
façon dont les différentes glaces coexistent entre elles: en
phases indépendantes ou piégées dans de la glace d'eau amorphe ?
2) le lien entre les rapports de mélange mesurés dans les
atmosphères cométaires et ceux des noyaux primordiaux.
Les observations des raies radio de diverses molécules ont
également permis d'étudier l'évolution des conditions physiques
de l'atmosphère de la comète. Avec l'approche au Soleil, on a
ainsi pu observer 1) une augmentation de la vitesse d'expansion de la
coma (de 0,5 à 1,2 km s-1), par l'observation des profils des
raies qui retracent fidèlement le champ de vitesse des molécules
cométaires ; 2) une augmentation de la température (de 10 à 130
K), par l'observation simultanée de plusieurs raies de rotation
d'une même molécule (CO, HCN, ou surtout CH3OH). Ces
évolutions traduisent le chauffage de l'atmosphère cométaire
suite à des processus photolytiques et sont en plein accord avec les
prédictions des modèles thermodynamiques.
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Les observations de la comète Hyakutake puis surtout celles de
Hale-Bopp ont permis d'améliorer spectaculairement notre
connaissance des molécules mères cométaires -- celles qui
proviennent directement de la sublimation des glaces du noyau. Le
nombre de molécules identifiées a en effet presque triplé. La
spectroscopie radio s'est révélée être une technique
particulièrement efficace, en permettant l'identification sans
ambiguıté par leurs raies de rotation de molécules parfois
complexes et dont certaines ne sont présentes qu'à l'état de
traces. La spectroscopie infrarouge a complété le travail avec
l'étude des molécules comme les hydrocarbures qui, dépourvues de
moment dipolaire, n'ont pas de raies de rotation permises, mais
présentent de fortes bandes de vibration.
Les molécules les plus abondantes, outre l'eau, sont le monoxyde
et le dioxyde de carbone, le méthanol CH3OH et le
formaldéhyde H2CO.
Parmi les nouvelles molécules organiques identifiées, citons
l'acide isocyanique HNCO, l'acide formique HCOOH (Fig. 2), le
formamide NH2CHO (Fig. 2) et le formiate de méthyle
HCOOCH3 (peut-être la plus grosse molécule fermement
identifiée dans une comète). L'azote est représenté par
l'ammoniac NH3 et plusieurs nitriles : outre le cyanure
d'hydrogène HCN, il y a son isomère HNC, le cyanure de méthyle
CH3CN et le cyanoacétylène HC3N. Des observations
infrarouges menées du sol ont révélé quelques hydrocarbures
simples : le méthane CH4, l'acétylène C2H2 et
l'éthane C2H6.
Nous connaissons maintenant plusieurs molécules soufrées : en plus
de H2S, CS (sans doute un produit de décomposition de CS2)
et S2 (seulement observé dans les comètes C/1983 H1
IRAS-Araki-Alcock et C/1996 B2 Hyakutake, deux comètes qui sont
passées très près de la Terre), se sont révélés SO,
SO2, OCS et le thioformaldéhyde H2CS.
Le Tableau 1 résume notre connaissance de la composition des
molécules mères issues du noyau de la comète Hale-Bopp.
Plusieurs de ces molécules n'ont encore jamais été observées
dans d'autres objets du Système Solaire, alors qu'elles sont
présentes dans les régions de formation d'étoiles du milieu
interstellaire. Il est frappant de constater que les rapports de
mélange sont fort semblables à ceux mesurés dans les glaces
interstellaires. Dans ces dernières, les molécules H2O,
CO2, CO, CH3OH, CH4 et H2CO ont été directement
identifiées dans le domaine infrarouge à l'aide notamment du
satellite ISO. La composition du gaz présent dans certaines
régions chaudes du milieu interstellaire, dont on pense qu'elle
reflète au moins partiellement la sublimation des grains, a permis
d'étendre l'analogie à l'ensemble des molécules détectées
dans les comètes.
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En plus des molécules mères, des ions cométaires ont été
observés pour la première fois en radio : CO+ (déjà connu
par ses raies dans le spectre visible des queues cométaires),
HCO+ et H3O+. Ces ions permettent une approche de la chimie
des atmosphères cométaires, dominée par la photodissociation et
ionisation par l'ultraviolet solaire et par les réactions ions-neutres.
Les profils de leurs raies, fort différents de ceux des espèces
neutres, montrent l'interaction des ions cométaires avec le vent
solaire.
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L'isocyanure d'hydrogène HNC, inconnu sur Terre, est un isomère
métastable de HCN dont il diffère par l'organisation de ses liaisons
chimiques. Il a été observé pour la première fois dans la
comète Hyakutake avec les radiotélescopes submillimétriques du
JCMT et du CSO. HNC est une molécule importante dans les nuages
interstellaires où des rapports d'abondance HNC/HCN de 0,01 à
1,5 sont couramment observés. Dans le milieu interstellaire, HCN et
HNC proviendraient de la recombinaison dissociative de HCNH+ qui
produit ces deux molécules avec des probabilités égales. Dans
la comète Hale-Bopp, on a observé HNC/HCN variant de 0,03 à plus
de 0,2 lorsque la comète s'est approchée du Soleil (Fig. 1).
Les valeurs de ce rapport, proches de celles observées dans le
milieu interstellaire, semblent militer en faveur d'une incorporation
directe de grains interstellaires dans les glaces cométaires.
Cependant, leur variation avec la distance au Soleil suggère
fortement que des réactions chimiques dans l'atmosphère
cométaire ou à la surface du noyau ont pu altérer ce rapport, ou
même créer HNC à partir de HCN.
Un des meilleurs arguments en faveur d'une origine interstellaire du
matériau cométaire est sans conteste l'abondance du deutérium,
mesurée pour la première fois dans l'eau de la comète
P/Halley par les spectromètres de masse de Giotto. Des observations
submillimétriques au CSO de la comète Hyakutake et au JCMT de la
comète Hale-Bopp ont permis la détection directe de l'eau
deutérée HDO, à partir de sa transition à 464,924 GHz (Fig. 3). Une autre molécule deutérée détecté dans la comète
Hale-Bopp est DCN. Les nouvelles mesures de (D/H)
H2O
confirment une valeur proche de
3×10-4. Cette valeur est
dix fois supérieure à la valeur protosolaire dans H2, estimée
notamment par des mesures de HD/H2 dans Jupiter. Une telle valeur
ne peut s'expliquer par les réactions de fractionnement chimique
entre molécules neutres qui ont eu lieu dans les régions externes
de la Nébuleuse Solaire où se sont formées les comètes. Pour
permettre la migration des atomes de deutérium du réservoir
principal H2 vers les espèces deutérées moins abondantes, il
faut faire intervenir des réactions ions-molécules à basse
température, c'est-à-dire celles qui sont à l'origine d'
enrichissements similaires dans certaines régions du milieu
interstellaire.
Si les glaces cométaires ont largement retenu la signature du D/H
des grains interstellaires, c'est qu'elles n'ont eu que peu
d'échanges avec l'immense réservoir d'hydrogène de la
Nébuleuse Solaire, bien moins enrichi. L'enrichissement en
deutérium dans l'eau cométaire est cependant inférieur à celui
mesuré dans certaines phases de météorites plus
représentatives du rapport (D/H)
H2O interstellaire.
L'eau interstellaire a ainsi été partiellement reprocessée dans
la Nébuleuse Solaire avant d'être incorporée aux comètes. Des
modèles de diffusion turbulente de la Nébuleuse Solaire, prenant
en compte son évolution temporelle, permettent par ces mesures de
deutération de contraindre le lieu et le moment de formation des
comètes.
Il est à noter que ces nouveaux résultats confirment que le rapport D/H dans l'eau cométaire est 2 fois plus important que celui mesuré dans l'eau terrestre. Ceci contredit l'hypothèse parfois avancée selon laquelle des impacts de comètes ont contribué de façon importante à la formation des océans, sans pour autant exclure un rôle majeur de la matière cométaire dans l'évolution prébiotique et l'origine de la vie.
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Les passages exceptionnels des comètes Hyakutake et Hale-Bopp
justifiaient de tenter les premières observations
interférométriques dans le domaine millimétrique
(Fig. 4). Les
observations effectuées avec le réseau d'antennes de l'IRAM
installé au Plateau de Bure ont permis d'obtenir des cartes des
raies de HCN J(1-0) et CO J(2-1) avec une résolution spatiale
d'une centaine de kilomètres dans la comète Hyakutake en mars
1996. Dans la comète Hale-Bopp, neuf molécules (CO, HCN,
CH3OH, CS, HNC, H2CO, HNCO, SO, H2S) ont été
cartographiées à la mi-mars 1997. Par ailleurs, l'émission
thermique de ses poussières et de son noyau a été détectée
à 1 et 3 mm de longueur d'onde.
Ces observations, encore en cours d'analyse, font apparaıtre
d'intéressantes structures spatiales dans l'atmosphère de
gaz, qui seront à comparer à la morphologie de la coma de
poussières observée dans le domaine visible. Un fait remarquable
dans Hale-Bopp, observé au Plateau de Bure, est la présence d'un
jet de CO qui suit la rotation du noyau. Mais l'enjeu principal de
ces observations est d'élucider l'origine de certaines molécules
dans la coma. Les observations in situ de la comète de Halley ont
en effet révélé qu'une fraction importante du CO et du H2CO
présents dans la coma était libérée non par le noyau, mais par
une source étendue qui pourrait être ces petits grains organiques
``CHON" détectés par les analyseurs de poussières des sondes
spatiales Giotto et VEGA et composés essentiellement de C, H, O, N.
Les cartes interférométriques confirment que H2CO provient
presque exclusivement d'une source étendue. Un autre résultat
définitif déjà établi par les observations du Plateau de Bure
concerne l'origine de SO : cette molécule est produite
essentiellement dans la coma, au moins partiellement par la
dissociation de SO2.
La mesure du flux continuum dû à l'émission thermique indique
que le noyau de la comète Hale-Bopp a un diamètre d'une
quarantaine de kilomètres. Des observations avec le Télescope
spatial Hubble fournissent la même estimation, à partir du flux
solaire réfléchi dans le domaine visible. C'est la grande taille
du noyau de la comète Hale-Bopp (pour mémoire, celui de la
comète de Halley a un diamètre équivalent de 10 km) qui lui
confère son extraordinaire activité.
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L'apparition de la comète Hale-Bopp a coıncidé avec la
période d'activité de l'Observatoire spatial infrarouge (ISO).
Cependant, les fenêtres de visibilité de cet instrument, et en
particulier les contraintes d'élongation solaire (le télescope
devant rester pointé à 90 ± 30o du Soleil pour des
raisons thermiques et pour un bon rendement de ses panneaux solaires)
furent telles que les observations de la comète n'ont été
possibles que lorsqu'elle était à plus de 2,8 UA du Soleil, soit
avant, soit après son périhélie.
Les spectres ISO de la comète Hale-Bopp ont révélé les bandes
de H2O à 2,7 μm, de CO2 à 4,25 μm et de CO à 4,65
μm. Ces bandes fondamentales de vibration sont émises par
fluorescence excitée par le rayonnement solaire. Il est pratiquement
impossible d'observer les bandes de H2O et de CO2 du sol, en
raison de l'absorption par l'atmosphère terrestre.
Le spectre de l'eau vers 2,7 μm, observé avec une grande
précision et une bonne résolution spectrale (Fig. 5),
a permis de
distinguer les raies individuelles de ro-vibration. Il est possible
d'en déduire certaines conditions physiques de cette molécule
comme sa température, ainsi estimée à 28 K. C'est beaucoup
moins que la température des poussières cométaires ou de la
surface du noyau (environ 200 K). En effet, le gaz s'échappe du
noyau comme un jet supersonique et se refroidit.
Un autre élément d'information important peut être tiré de ce
spectre. Selon les lois de la mécanique quantique, la molécule
d'eau peut exister sous deux états, ortho et para,
suivant que la somme des spins nucléaires des atomes d'hydrogène
qui la composent est 1 ou 0. Tout se passe comme s'il existait deux
espèces de molécules d'eau, qui ne peuvent se transformer l'une en
l'autre ni par transition radiative, ni par collision, seulement par
réaction chimique. La répartition entre ces deux états -- le
rapport ortho sur para -- ne dépend que de la température
à la formation des molécules d'eau et se préserve au cours du
temps. Nous avons ainsi accès à une caractéristique essentielle
des origines des comètes.
D'après le spectre de H2O de Hale-Bopp observé par ISO (Fig. 5), où les raies de l'eau ortho et de l'eau para sont
séparées, le rapport ortho-sur-para est
2,45±0,10, ce qui correspond à une température de 25 K
environ. Cette basse température suggère que l'eau cométaire a
dû se former soit dans des nuages interstellaires, soit dans une
région froide de la Nébuleuse Solaire primitive sans subir de
réactions chimiques ultérieures, préservant ainsi son rapport
ortho-sur-para.
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On savait depuis 30 ans, par la présence de leurs fortes bandes
à 10 et 20 μm, que les silicates étaient un constituant
essentiel des poussières cométaires. Mais la nature précise de
ces silicates, que l'on tentait de préciser par l'étude de la
forme de la bande à 10 μm, la seule bien observable du sol,
restait mal connue. Le spectre de la comète Hale-Bopp de 6 à 45
μm observé par ISO (Fig. 6)
nous a révélé d'autres bandes
en plus de celles à 10 et 20 μm. Elles correspondent toutes
à de l'olivine cristalline (les silicates amorphes ne comportent
que des bandes larges et sans structure à 10 et 20 μm), et
plus particulièrement à de l'olivine riche en magnésium (c'est
à dire à de la forstérite Mg2SiO4). Bien sûr,
la forstérite n'est sans doute qu'un constituant parmi d'autres des
poussières cométaires. Des spectres vers 10 μm observés du
sol lorsque la comète était plus près du Soleil, et sa
poussière plus chaude, suggèrent la présence d'autres silicates
comme le pyroxène (Mg,Fe)SiO3. On s'attend également à ce
que des grains organiques soient présents (comme l'avaient montré
les sondes spatiales lors de l'exploration de la comète de Halley).
Les silicates du milieu interstellaire ne présentent que les bandes
larges et sans structure à 10 et 20 μm des silicates vitreux.
Cependant, certains disques de poussières entourant des étoiles,
observés également par ISO, montrent des spectres infrarouges
ressemblant de façon frappante à celui de Hale-Bopp. On pense
que ces étoiles et leurs disques -- apparentées aux systèmes
tels que Vega ou β Pictoris -- sont des systèmes solaires en
cours de formation.
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Les comètes Hyakutake et Hale-Bopp sont des comètes à longue
période. Elles proviennent vraisemblablement du nuage de Oort, où
elles ont migré après leur formation dans le Système Solaire
interne. L'analogie entre la composition des glaces cométaires et
celle des glaces interstellaire, la présence de l'isomère HNC, la
forte abondance de C2H2 et C2H6 par rapport à CH4, le
rapport ortho-sur-para témoignant d'une basse
température de formation de l'eau, et enfin l'abondance importante
du deutérium dans l'eau cométaire, tout cela plaide en faveur
d'une formation des comètes à partir du matériau interstellaire,
ou en tout cas par des processus très similaires à ceux
rencontrés dans le milieu interstellaire (réactions ion-molécule
et à la surface de grains, par opposition aux réactions
neutre-neutre dominantes dans la Nébuleuse Solaire interne). Il
reste cependant à comprendre comment des composés réfractaires
cristallins, qui semblent inexistants dans le milieu interstellaire,
ont pu être incorporés. Les comètes n'ont peut-être pas une
histoire si simple et sont justiciables d'encore bien des études.
Si notre connaissance de la composition de glaces et des poussières
cométaires a largement progressé grâce aux observations de
la comète Hale-Bopp, nous ignorons encore presque tout de la
structure et des propriétés physiques des noyaux cométaires, des
mécanismes de formation des atmosphères cométaires dans le
voisinage immédiat de leur surface (sinon par des modèles et
simulations). Plusieurs missions d'exploration spatiale de noyaux
cométaires, comme la mission ROSETTA de l'Agence spatiale
européenne, vont prochainement s'occuper de ces problèmes.
N'oublions pas cependant que les comètes sont nombreuses et fort
diverses. Les observations approfondies de quelques comètes
exceptionnellement brillantes et l'exploration spatiale d'un nombre
très limité d'objets ne sauraient remplacer des études
systématiques de la population cométaire, par d'importants
programmes d'observation au sol.
Pour en savoir plus.
``First International Conference on Comet Hale-Bopp", 1999. Earth Moon Planets Vol. 77, 78 et 79.
Biver N. et al. 1997. Science 275, 1915.
Bockelée-Morvan D. et al. 1998. Icarus 133, 147.
Bockelée-Morvan et al. 2000. Astron. Astrophys. 353, 1101.
Crovisier J. et al. 1997. Science 275, 1904.