Institut national de recherche scientifique français Univerité Pierre et Marie Curie Université Paris Diderot - Paris 7

Miguel Montargès entre passion des étoiles et du site de Meudon

mercredi 26 juillet 2023

Nous sommes en 1996 ou 1997. Miguel Montargès, âgé d’environ 10 ans, vit à Collioure. Il l’ignore encore mais il a rendez-vous avec son avenir. C’est au mois d’août que tout se décide. La télévision publique française, organise et diffuse « La nuit des étoiles ». André Brahic et Hubert Reeves sont en direct de l’observatoire du Pic du Midi. Il est alors plongé dans un foisonnement de reportages, d’informations sur les télescopes, d’images d’étoiles et de galaxies, de chercheuses et chercheurs au travail dans leurs laboratoires. Un véritable coup de cœur ! Le voilà accroché… cette passion ne l’abandonnera plus.

Un rêve d’enfant qui devient, pas à pas, une réalité

Miguel Montargès devant la coupole du télescope T60 à Meudon
Miguel Montargès devant la coupole du télescope T60 à Meudon

Crédit photo : Pierre Kervella

Mais que faire lorsque l’on est si jeune et que l’on se découvre un tel centre d’intérêt ? C’est alors qu’il se tourne vers ses parents, les questionne et leur demande de lui acheter des magazines d’astronomie. Il se régale d’images, s’intéresse aux résultats et avancées du domaine, étudie le ciel et s’émerveille devant ses premières constellations.

Nouveau choc quelques années plus tard. Il est alors au collège à Port-Vendres et rentre chez lui à la nuit tombée. Alors qu’il se dirige vers la maison, dans l’alignement de l’allée du jardin qui fait face au Sud, il reconnaît la constellation d’Orion. Juste au-dessus, comme si elle lui faisait un clin d’œil, il identifie Bételgeuse. C’est donc la première étoile qu’il a su nommer dans le ciel. Hasard ? Destin qui frappe à sa porte ? Ou simple coïncidence ? Bien des années plus tard, il est maintenant l’un des spécialistes de cette supergéante rouge. Toujours est-il que c’est à ce moment précis qu’il se dit : « Je veux faire de l’astronomie ! ».

Il est en alors 5e et commence à étudier les sciences physiques, il est avide de comprendre « Comment ça marche ». À travers la physique, il cherche à appréhender la façon dont le monde fonctionne. Il réalise alors qu’un métier lui permettrait de faire de l’astronomie et de la physique : celui d’astrophysicien. Il essaye de se renseigner mais dans ce coin de France, à une encablure de l’Espagne et dans les années 90, l’information est partielle et ce métier peu connu des conseillers d’orientation. Il décide donc de se débrouiller tout seul. Il va donner la priorité aux sciences dans son cursus : maths et physique au collège, puis une série S au lycée à Perpignan.

Un essai transformé avec brio

Son bac en poche, en 2004, il ne sait pas très bien comment s’orienter. Ce sera finalement une prépa scientifique à Perpignan, au lycée François Arago. Nouvelle étrange coïncidence, même s’il l’ignore à l’époque : François Arago était directeur de l’observatoire de Paris au XIXe siècle, là-même où ses pas vont mener Miguel quelques années plus tard.

Maths sup puis maths spé option PSI (physique et sciences de l’ingénieur) avec l’ENS Cachan dans le viseur. Issu d’une famille modeste, Miguel, au-delà du prestige de l’école, y voit la possibilité de financer ses études puisque les normaliens sont rémunérés. Il intègre en 2007 cette école qui s’appelle maintenant l’ENS Paris-Saclay, tranquillisé de ne pas devoir se préoccuper des aspects financiers.

Ses débuts y sont difficiles. Pour la première fois de son parcours, il sent une différence de niveau entre les élèves issus des prépas parisiennes et les provinciaux. Agrégation de physique en 2010, la pire année de toutes ses études confie-t-il, tout à la fois par l’enjeu et la difficulté. Puis, dans la foulée, le master d’astronomie-astrophysique de l’observatoire de Paris. Un choix passion qui lui permet d’enfin concrétiser son rêve.

Sous le charme du site de Meudon

C’est ainsi qu’à partir de 2011 il se partage entre les sites de Paris et de Meudon et qu’il tombe amoureux du second. Il se remémore ses premières émotions à la découverte de la Table équatoriale. Les séances d’observation, le bruit des moteurs et le craquement du plancher mobile, une ambiance singulière que les mots peinent à décrire.

Miguel Montargès en train de positionner le télescope T60 à Meudon en (...)
Miguel Montargès en train de positionner le télescope T60 à Meudon en 2023

Crédit photo : Emmanuel Layani pour le magazine Terres Catalanes

Puis lui vient l’envie de partager ce site avec le public. Alors, il décide de convaincre la direction de l’observatoire de ressusciter le club astro et de l’ouvrir aux proches de ceux qui y travaillent. Puis de l’inscrire, en 2013, comme l’une des activités du CLAS, sous la responsabilité de Vincent Lapeyrere ingénieur de recherche au LESIA. Une activité qui a pris de l’ampleur et permet à ses membres d’apprendre à se servir des télescopes. Miguel est fier de cette réalisation au bénéfice de tous.

Autre émotion forte lorsqu’il pénètre dans la Grande coupole, un lieu qui l’a beaucoup impressionné. C’est là le second coup de cœur de sa vie lié à l’astronomie, après la « Nuit des étoiles » … mais il est maintenant dans la place. Quel chemin parcouru ! Il peut à présent choisir des options qui lui plaisent dont, nul ne s’en étonnera, une UE (unité d’enseignement) de méthodologie d’observation. Ce qu’il veut, c’est manipuler des télescopes, une passion amorcée par ses premières observations au club astro de l’ENS Cachan et qui ne s’est pas démentie à ce jour.

Retour vers Bételgeuse

En fin de master 2, vient le moment de choisir un stage et un sujet de thèse. Au détour d’un catalogue papier, Miguel tombe sur une proposition de sujet… sur Bételgeuse ! Accompagnée d’observations du VLT et de Hubble. S’il avait un peu mis cette étoile entre parenthèses pendant quelques années, elle était toujours dans un coin de sa tête. Le sujet est proposé par Pierre Kervella et Guy Perrin, et il voit aussi la possibilité d’aller au Chili faire des observations dans le cadre de sa thèse. Une proposition qui réunit, à elle seule, tout ce qui le fait vibrer : le site (Meudon son cadre et ses télescopes), le sujet (Bételgeuse) et la perspective d’un séjour aux antipodes, au foyer de télescopes de légende.

Nous sommes alors en 2011. C’est donc le LESIA qui a sa préférence. Trois années de thèse et de bonheur dans un cadre qui le passionne. Deux voyages au Chili pour faire des observations sur le VLT dont le premier, particulièrement marquant, en décembre 2012. Une aventure remplie d’émotion et de l’intensité de la découverte quand se dévoilent les coupoles au détour d’un lacet de la route. À 2500 m d’altitude, au sommet du Cerro Paranal, l’un des ciels les plus purs au monde, si propice à de belles observations. Un Graal pour Miguel qui a grandi avec la construction de ces télescopes qui ont bercé ses rêves d’enfant, et lui sont devenus accessibles car Pierre Kervella l’accompagne et lui ouvre toutes les portes de ce lieu mythique.

Miguel Montargès au VLT en 2018 avec Bételgeuse sous son oreille (...)
Miguel Montargès au VLT en 2018 avec Bételgeuse sous son oreille gauche

Crédit photo : Emily Cannon

La Voie lactée vue du VLT en février 2013
La Voie lactée vue du VLT en février 2013

Crédit photo : Miguel Montargès


Une fois sur place, la rencontre avec les nuages de Magellan et surtout SON étoile, Bételgeuse qui, elle aussi, l’attend, plus proche et lumineuse que jamais dans le viseur du télescope. Une étude approfondie puis une thèse soutenue en octobre 2014, comme une évidence, sur les supergéantes rouges ! En parallèle, il enseigne au sein de l’Observatoire, car il a obtenu une mission complémentaire d’enseignement. Un vrai bonheur que de transmettre ses connaissances.

Passion recherche, passion partage

Comme si cela n’était pas encore assez, découvrons à présent un autre volet important de l’activité de Miguel : la vulgarisation scientifique. Toujours très lié à sa région d’origine, en 2011, il fonde le « Festival d’astrophysique de Collioure » avec Mélody Sylvestre, également étudiante au LESIA, et Pierre Fédou, alors ingénieur de recherche dans notre laboratoire. Sur 3 jours au départ, 3 conférences et une exposition de l’Observatoire pour diffuser le savoir dans le domaine et rompre l’isolement dont il avait souffert dans sa petite ville d’origine. Il implique également le club astro de la commune voisine du Soler qui est venu faire les observations à Collioure, pour le festival, de 2011 à 2018.

Des débuts assez confidentiels mais un succès manifeste, dès la première édition, qui attire de nombreux participants, malgré la quasi absence de communication locale. Dans les années qui ont suivi, le succès se confirme et la durée du festival est portée à une semaine. D’une seule salle, on passe à deux puis à trois grâce au soutien de la mairie. Jusqu’en 2014 et un changement d’équipe municipale : le festival se met alors en pause.

En 2017, Miguel est recontacté par des passionnés qui souhaitent relancer le festival. Une association est donc créée et, en 2018, se tient la première édition du nouveau festival. Il s’intitulera désormais : « De la plage aux étoiles ». Un second souffle pour cet événement. Il fait à présent une large place aux intervenants extérieurs au nombre desquels des astronomes de renom tels que James Lequeux ou Éric Josselin et des invités prestigieux tels que Françoise Combes du Collège de France et de l’Académie des Sciences. Des conférenciers de marque sont également invités : Pierre Kervella en 2021 et deux des académiciens du LESIA, Daniel Rouan et Guy Perrin en 2022.

Affiche 2023 du festival "De la plage aux étoiles" à (...)
Affiche 2023 du festival "De la plage aux étoiles" à Collioure

Crédit photo : Sylvain Cnudde

Avec les années, le festival s’est diversifié et enrichi. Il combine conférences, observations à l’œil nu et des séances de cinéma suivies de débats. En 2023, pour sa 10e édition qui se tient du 31 juillet au 6 août, Miguel a convié Philippe Henarejos, rédacteur en chef de la revue Ciel & Espace, Vincent Coudé du Foresto, directeur du LESIA et Romane le Gal de l’IPAG (Institut de Planétologie et d’Astrophysique de Grenoble). Un programme qui promet d’être riche… avis aux amateurs !

Un premier post-doc dans le domaine de la radioastronomie

Retour fin 2014, après sa thèse, pour un premier post-doc à l’IRAM (Institut de radioastronomie millimétrique) à Grenoble. Il doit consacrer 80 % de son temps à l’interféromètre NOEMA dans les Hautes-Alpes et le reste à la recherche.

L'interféromètre du plateau de Bure dans les Hautes-Alpes
L’interféromètre du plateau de Bure dans les Hautes-Alpes

Crédit photo : Miguel Montargès

Il est également impliqué dans le projet d’évolution de l’interféromètre qui voit passer de 6 à 12 le nombre d’antennes implantées sur le site. Il doit donc mener une campagne de qualification des nouveaux récepteurs des anciennes antennes, et, dans le même temps, tester les nouvelles. Des souvenirs des sommets enneigés des Alpes, au sein d’équipes très soudées, au plateau de Bure et à Grenoble.

Un second post-doc autour des géantes et supergéantes rouges

En mai 2017, il rejoint le groupe de Leen Decin à Louvain, en Belgique, pour faire une étude des géantes et supergéantes rouges. Un très beau souvenir, grâce à une bourse Marie Curie co-financée par le FWO (fonds flamand pour la recherche scientifique). Trois belles années à faire de la science et à publier dans des revues. Au bout d’un an, l’équipe se lance dans un large programme ALMA (ATOMIUM) de plus 100 heures d’observations sur des cibles multiples.

Les observations ont eu lieu en 2019, en même temps sur ALMA, sur le VLT et le VLTI. À ce jour, c’est le seul programme de cette ampleur dans le domaine de l’évolution stellaire. Et évidemment Miguel est au cœur du dispositif : premier des 40 co-investigateurs de la collaboration, derrière les 2 PIs, Leen Decin et Carl Gottlieb.

Programme ALMA d'observation de cibles multiples
Programme ALMA d’observation de cibles multiples

Figure de l’article paru dans Science en 2020. On voit 12 des 17 étoiles du large programme ATOMIUM dans la raie d’émission du monoxyde de carbone. La couleur code le mouvement par effet Doppler (en rouge le gaz s’éloigne, en bleu il vient dans notre direction).

Crédit photo : Decin, Montargès et al.2020, Science

Il s’agissait d’observer 17 étoiles dans la bande 6 d’ALMA. La grande découverte de cette étude, c’est qu’aucune d’entre-elles n’offre un profil identique. On met ainsi en évidence que chaque étoile présente un particularisme dans son aspect : cela peut être soit un « compagnon » - donc une étoile double - soit une planète. Cette étude a été à l’origine d’une première publication dans Science en 2020. Miguel en est le second auteur. C’était la toute première d’une longue série et d’autres articles sont en préparation à ce jour.

Par ailleurs, en décembre 2019, Bételgeuse présente une importante baisse de luminosité. Au départ, ce phénomène est considéré comme une fluctuation périodique des pulsations de l’étoile. Les précédentes remontent à 2009. Mais la presse en parle et Miguel décide donc de faire des observations plus poussées au VLTI.

Deux puis quatre images mettent en évidence que les modifications constatées sont bien plus importantes et semblent affecter la forme de l’étoile. Il s’agit en fait de la combinaison d’un point froid à la surface de Bételgeuse avec la formation de poussière à l’intérieur d’un nuage de gaz éjecté par l’étoile. Comme la poussière est opaque, elle en diminue donc la brillance pendant 4 mois environ. La nouvelle connaît un retentissement mondial jusqu’à faire la Une du New York Times. Miguel publie un article à ce sujet qui paraît en juin 2021 dans Nature. S’ensuivent des conférences et interventions grand public dont une en novembre 2021, devant 600 personnes aux « Rencontres du Ciel et de l’Espace » à la Cité des Sciences.

Images obtenues par l'instrument SPHERE du VLT au cours de la perte d'éclat (...)
Images obtenues par l’instrument SPHERE du VLT au cours de la perte d’éclat de Bételgeuse entre janvier 2019 et mars 2020

Crédit photo : Montargès et al.2021, Nature

Une nouvelle bourse pour continuer ses recherches

En mai 2022, Miguel a obtenu une bourse Marie Curie d’une durée de 2 ans. Elle va lui permettre de continuer ses recherches sur la perte de masse des étoiles en fin de vie, dans l’attente hypothétique d’un poste CNRS ou CNAP (Conseil National des Astronomes et Physiciens) au LESIA.

Son plus cher désir : intégrer le LESIA sur un poste statutaire. Il foisonne de projets, tant scientifiques que patrimoniaux, sous-tendus par sa passion pour le site de Meudon. Il y trouve le terreau fertile sur lequel s’épanouissent ses projets. La recherche, avant tout ; le CLAS et le CESOP pour le club astro ; l’enseignement en tant que responsable d’UE du master 1ère année en 2022 ; l’encadrement et la formation des utilisateurs de télescopes, enfin, sont autant d’activités qui l’animent au quotidien.

Un beau projet pour le site de Meudon

Miguel garde, gravée dans son esprit, sa première visite de la Grande coupole avec Yann Clénet en juin 2011. Il se rappelle le choc ressenti face à l’état de délabrement dans lequel elle se trouvait alors. Une question aussi : comment cette lunette astronomique, la troisième plus grande au monde, située aux portes de Paris, peut-elle ainsi être laissée à l’abandon ? En 2022, il initie une démarche conjointe, avec Daniel Rouan et Vincent Lapeyrere, auprès de Fabienne Casoli, présidente de l’Observatoire.

La Grande lunette de Meudon en mai 2023
La Grande lunette de Meudon en mai 2023

Crédit photo : Miguel Montargès

Ils obtiennent la mise en place d’un groupe de travail dans l’idée de rouvrir la grande lunette à la visite, des personnels dans un premier temps, puis du grand public. Peut-être aussi, à plus long terme, l’idée de la remettre en service fera-t-elle son chemin. Oh…pas pour la recherche, certes ! Juste pour le plaisir d’observer le ciel avec cet instrument unique au monde. La conscience qu’il est aussi un outil exceptionnel de vulgarisation de l’astrophysique auprès du grand public.

Un rêve aussi, qui deviendra peut-être un jour réalité : faire de notre site le centre de recherches et de vulgarisation de référence en astrophysique pour l’Île-de-France. Un beau projet à suivre dans les années à venir !

Pour en savoir plus sur les activités de Miguel :
Portrait rédigé par Luc Heintze