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Pêle-mêle :
des notes astronomiques sur des romans de Jules Verne dont l'astronomie n'est pas le thème principal.


Les Voyages et aventures du capitaine Hatteras (1866) et la cosmographie polaire.

Les Voyages et aventures du capitaine Hatteras constituent le deuxième roman de la série qui ne s'appelait pas encore les Voyages Extraordinaires de Jules Verne. Dans une préface, signée J. Hetzel, est clairement annoncée la profession de foi de la série :

« Le plan que s'est proposé l'auteur .../.. est, en effet, de résumer toutes les connaissances géographiques, géologiques, physiques, astronomiques, amassées par la science moderne, et de refaire, sous la forme attrayante et pittoresque qui lui est propre, l'histoire de l'univers. »

Ce roman inaugure l’un des grands thèmes du romancier, celui des Pays froids et de l’exploration des régions polaires (Le Pays de Fourrures, 1873 ; Le Sphinx des Glaces, 1897…). C’est à ce titre que la deuxième partie de ce roman (Le Désert de glace) comporte deux chapitres didactiques (Chap. IX et XXIV), que l’on pourrait qualifier d’anthologie, où le savant de service, le docteur Clawbonny, professe sur les thèmes du froid et de la température d’une part, des mouvements de la Terre et de la signification des pôles d’autre part.

Le Chap. IX (Le froid et le chaud) fait allusion aux théories de Fourier sur la température, qui seront reprises par Jules Verne plus tard dans Autour de la Lune, Le Pays des Fourrures, Hector Servadac… On y lit aussi :

« Il vint à l’esprit d’Halley qu’une comète, ayant jadis choqué obliquement la terre, changea la position de son axe de rotation, c’est-à-dire de ses pôles ; d’après lui, le pôle Nord, situé autrefois à la baie d’Hudson, se trouva reporté plus à l’est, et les contrées de l’ancien pôle, si longtemps gelées, conservèrent un froid plus considérable, que de long siècles de soleil n’ont pu encore réchauffer. »

Le Chap. XXIV (Cours de cosmographie polaire) est très scolaire. On peut penser que Jules Verne l'a tiré des Leçons nouvelles de Cosmographie (1853) de son cousin Henri Garcet. Mais on y trouve cette remarque originale et pertinente :

« La comète est le Deus ex machina ; toutes les fois qu’on est embarrassé en cosmographie, on appelle une comète à son secours. C’est l’astre le plus complaisant que je connaisse, et, au moindre signe d’un savant, il se dérange pour tout arranger ! » (Chap. XXIV — Cours de cosmographie polaire).

Jules Verne faisait encore là allusion à la collision d’une comète avec la Terre qui aurait déplacé l’axe des pôles de la planète, hypothèse autrefois invoquée pour expliquer la présence de fossiles appartenant à la faune tropicale dans des régions septentrionales. Visionnaire, il n’imaginait pas que la même hypothèse resurgirait plus tard pour expliquer pêle-mêle : l’origine des océans terrestres ; l’ensemencement de la Terre en molécules organiques complexes favorisant l’apparition de la vie ; la disparition des dinosaures (et bien d’autres phénomènes encore : la grippe asiatique, le sida, la maladie de la vache folle…). Sans oublier que les comètes sont toujours introduites de nos jours le plus sérieusement du monde par certains astrophysiciens pour interpréter des phénomènes tels que : raies spectrales mal comprises, variabilités inexpliquées, masers interstellaires mystérieux…

Jules Verne reprendra cette idée de déplacement du pôle terrestre bien plus tard dans Sans Dessus Dessous (1889).


Les Enfants du capitaine Grant (1868), le trou noir de Paganel et le point en mer.

S'appuyant sur des sources sûres, Jules Verne nous a décrit avec un réalisme saisissant les paysages de pays lointains qu'il n'avait jamais visité. C'est de la même façon que, dans Les Enfants du capitaine Grant, il nous décrit le ciel austral par la bouche de Paganel :

« Il lui montra la Croix du Sud... le Centaure où brille l'étoile la plus rapprochée de la terre... les nuées de Magellan, deux vastes nébuleuses... puis, enfin, ce « trou noir » où semble manquer absolument la matière stellaire. » (Partie 1, Chap. XXV).

Il ne s'agit nullement, bien sûr, d'un trou noir dans le sens que lui donne l'astronomie moderne, mais simplement d'une région du ciel particulièrement dénuée d'étoiles comme il en existe près du pôle sud.



Jacques-Eliacin-François-Marie Paganel (à gauche, illustration de Riou) et Jacques Arago (à droite, image tirée de son Voyage autour du monde inversée pour la comparaison) — ressemblance voulue ou coïncidence ?



Le capitaine Nemo prenant la hauteur du Soleil (Vingt mille lieues sous les mers, illustration d'Alphonse de Neuville).

Faire le point en mer est toujours une grande affaire dans les Voyages extraordinaires. On remarque dans Les Enfants du capitaine Grant (Partie III, Chap. V — Les matelots improvisés) une description simple, concise et précise de la manière de mesurer la latitude :

« Il connaissait déjà sa longitude, étant sur la côte ouest de la Nouvelle-Zélande. Heureusement, car sans chronomètre il n'aurait pu la calculer. La latitude seule lui manquait et il se mit en mesure de l'obtenir. Il prit donc, au moyen du sextant, la hauteur méridienne du soleil au-dessus de l'horizon. Cette hauteur se trouva de 68 degrés 30. La distance du soleil au zénith était donc de 21 degrés 30, puisque ces deux nombres ajoutés l'un à l'autre donnent 90 degrés. Or, ce jour-là, 3 février, la déclinaison du soleil étant de 16 degrés 30 d'après l'annuaire, en l'ajoutant à cette distance zénithale de 21 degrés 30, on avait une latitude de 38 degrés. » [Précisons que la déclinaison du Soleil est négative à cette date, et que la latitude est Sud.]

On n'a pas expliqué mieux depuis (sinon dans le populaire Almanach du marin breton).

Dans Une Ville flottante (1870), Jules Verne nous conte sous une forme à peine romancée sa traversée vers l'Amérique faite en 1867 sur le Great Eastern. Il y précise la position du navire de jour en jour avec la course (la distance parcourue) depuis la veille. Un rapide calcul montre que, dans quelques cas, la course ne correspond pas aux positions successives. Visiblement, Jules Verne n'a pas refait les calculs, mais a recopié les notes qu'il a dû prendre lors de son voyage (ou celles de son frère Paul qui l'accompagnait). Comme on ne peut mettre en doute les calculs nautiques du commandant du Great Eastern, il faut en conclure que des erreurs de retranscription se sont produites.

Les Mirifiques aventures de maître Antifer (1894), où Jules Verne nous relate les voyages d'un marin breton à la recherche d'un trésor, contiennent une véritable apologie de la navigation astronomique. Le point en mer y est décrit à plusieurs reprises, et le nom sextant n'y figure pas moins de 18 fois !

Il faudra attendre les méthodes de positionnement modernes de la radio-navigation comme le Loran, puis le GPS, pour que les marins s'affranchissent du point astronomique et que toute une tradition disparaisse. Comme le relate avec humour André Gillet :

[L'observation de la hauteur méridienne du Soleil] « donnait lieu à une cérémonie quasi rituelle où tous les lieutenants, convoqués à la passerelle, officiaient en même temps ; chacun, avec son sextant, mesurait et calculait la latitude dont les résultats comparés, appelés point de midi, étaient religieusement transmis au commandant qui était généralement en train de déjeuner et les lieutenants retournaient à leur repas interrompu. » (A. Gillet, Une Histoire du point en mer, 2000, Belin.)

La Maison à vapeur (1880) et le refus du voyage interplanétaire.

Dans La Maison à vapeur (1880), quinze ans après De la Terre à la Lune et peu après Hector Servadac, Jules Verne formule un pronostic sombre sur la possibilité des voyages interplanétaires :

[Après avoir évoqué la conquête des hauts sommets] « Cela se fera, répondit le capitaine Hod, comme se feront, un jour, les voyages au pôle sud et au pôle nord !
— Évidemment !
— Le voyage jusque dans les dernières profondeurs de l’océan !
— Sans aucun doute !
— Le voyage au centre de la terre !
— Bravo, Hod !
— Comme tout se fera ! ajoutai-je.
— Même un voyage dans chacune des planètes du monde solaire ! répondit le capitaine Hod, que rien n’arrêtait plus.
— Non, capitaine, répondis-je. L’homme, simple habitant de la terre, ne saurait en franchir les bornes ! Mais s’il est rivé à son écorce, il peut en pénétrer tous les secrets.
— Il le peut, il le doit ! reprit Banks. Tout ce qui est dans la limite du possible doit être et sera accompli. Puis, lorsque l’homme n’aura plus rien à connaître du globe qu’il habite ?
— Il disparaîtra avec le sphéroïde qui n’aura plus de mystères pour lui, répondit le capitaine Hod.
— Non pas ! repris Banks. Il en jouira en maître, alors, et il en tirera un meilleur parti. » (Partie II, Chap. I.)

On remarquera que le « Tout ce qui est dans la limite du possible doit être et sera accompli » se rapproche de la citation, célèbre mais apocryphe, « Tout ce qu'un homme est capable d'imaginer, d'autres hommes seront capables de le réaliser » attribuée à tort à Jules Verne.


L'Île à hélice (1895) et son sympathique astronome.


L'Île à hélice est peut-être un roman musical. En effet, les personnages principaux sont les membres d'un quatuor à cordes et de nombreuses références musicales sont présentes. Ce n'est sûrement pas un roman astronomique. Pourtant, l'un des personnages secondaires est un astronome.

Un immense bateau, véritable île flottante, promène une cargaison de milliardaires dans le Pacifique sud. Des dissensions politiques internes amèneront progressivement le navire à sa destruction totale.

Parmi les passagers, le roi de Malécarlie est un roi déchu. Contraint à faire des petits boulots pour gagner sa vie, il accepte le poste d'astronome sur Standard-Island (l'Île à hélice). En fait d'astronomie, sa fonction se borne à mesurer la position de l'île-navire et à surveiller la météo. C'est un sage, l'un des rares astronomes sympathiques des romans de Jules Verne (avec les jeunes astronomes Emery et Zorn des Aventures de trois Russes et de trois Anglais). Certains ont remarqué que le dessinateur (Léon Benett) lui a donné les traits de Jules Verne. Cependant, d'après le texte, ce personnage semble plutôt avoir été pris sur le modèle de l'empereur du Brésil Dom Pedro II.

« Le roi de Malécarlie a sollicité un poste à l'observatoire de Standard-Island, et l'administration supérieure a immédiatement fait droit à sa demande.

.../...

C'était un bon roi, le roi de Malécarlie, c'était une bonne reine, la princesse sa femme. Ils faisaient tout le bien que peuvent faire, dans un des États moyens de l'Europe, des esprits éclairés, libéraux, sans prétendre que leur dynastie, quoiqu'elle fût une des plus anciennes du vieux continent, eût une origine divine. Le roi était très instruit des choses de science, très appréciateur des choses d'art, passionné pour la musique surtout. Savant et philosophe, il ne s'aveuglait guère sur l'avenir des souverainetés européennes. Aussi était-il toujours prêt à quitter son royaume, dès que son peuple ne voudrait plus de lui. N'ayant pas d'héritier direct, ce n'est point à sa famille qu'il ferait tort, quand le moment lui paraîtrait venu d'abandonner son trône et de se décoiffer de sa couronne.

Ce moment arriva, il y a trois ans.../...Le roi redevint un homme, ses sujets devinrent des citoyens, et il partit sans plus de façon qu'un voyageur dont le ticket a été pris au chemin de fer, laissant un régime se substituer à un autre. » (Partie 2, Chap. 3.)

Dom Pedro II d'Alcantara (Rio de Janeiro 1825 – Paris 1891) fut empereur du Brésil de 1831 à 1889. Ce monarque débonnaire et éclairé, en abolissant l'esclavage, souleva contre lui une coalition qui le contraignit à abdiquer et à s'exiler à Paris. Il correspondait avec plusieurs sociétés savantes et était passionné d'astronomie. Il a fondé l'Observatoire national dont le premier responsable fut l'astronome français Emmanuel Liais. Correspondant de l'Académie des sciences de Paris, c'est lui qui a annoncé la découverte de la Grande Comète de 1881, faite par Cruls à Rio de Janeiro le 29 mai 1881. Il a rendu visite à Camille Flammarion dans son observatoire de Juvisy le 29 juillet 1887 (cérémonie considérée comme l'inauguration de cet observatoire). C'est donc l'empereur Pedro II plutôt que Jules Verne (dont il partageait la même barbe fleurie) que le dessinateur Léon Benett a représenté sur les illustrations de L'Île à Hélice. À y regarder de près, la longueur de la barbe du personnage de Benett est impériale et non pas vernienne !



L'ex-roi de Malécarlie dans ses fonctions d'astronome (L'Île à hélice, illustration de Benett). On remarquera la curieuse conception de la monture de la lunette (avec une roue dont l'axe coïncide avec l'axe optique). Benett a dessiné une lunette similaire sur le frontispice de Robur-le-conquérant.

L'illustration de L'Île à Hélice ressemble de façon frappante à celle de l'inauguration de l'Observatoire de Juvisy parue dans L'Astronomie. Benett s'en est-il inspiré ? En tout cas, la technique des montures de lunettes astronomiques semble lui avoir échappé.



À gauche : Inauguration de l'Observatoire de Juvisy par l'empereur du Brésil (L'Astronomie, septembre 1887, 6, p. 321). Cet observatoire et sa lunette existent toujours (une photo récente en est montrée à droite) et sont en cours de restauration.


Dans la description de son observatoire de Juvisy, Flammarion raconte :

« Le 29 juillet 1887, S. M. Don Pedro II, empereur du Brésil, accompagné de son chambellan, M. le viconte de Nioac et de M. L. Cruls, directeur de l'observatoire de Rio Janeiro, est venu visiter l'observatoire de Juvisy et lui souhaiter vie et féconde durée. D. Pedro d'Alcantara, membre de l'Institut de France, comme il s'est plu à l'inscrire sur le registre de l'observatoire, a inauguré l'équatorial par l'observation de la planète Vénus qui, non loin du Soleil, offrait l'aspect d'un croissant élégant. En souvenir de son trop rapide séjour, le souverain populaire a bien voulu planter un arbre qui rapellera aux générations futures son bienveillant passage au milieu de nous.
Tous ceux qui ont assisté à cette réception n'oublieront jamais cette paternelle bonté, cette cordiale simplicité, jointes à une exquise connaissance de hommes et des choses. » (L'Astronomie, septembre 1887, 6, 321–330.)

L'empereur du Brésil était également à l'inauguration de l'Observatoire de Nice le 27 octobre 1887. Il se plaisait à inaugurer les observatoires comme d'autres hommes politiques, à cette époque, inauguraient les chrysanthèmes.



Visite de l'empereur du Brésil à l'observatoire d'Olinda, le 14 décembre 1859 (L'Espace céleste et la nature tropicale, E. Liais, 1865, illustration de Yan' Dargent). À la droite de l'empereur, l'astronome Emmanuel Liais. L'Espace céleste et la nature tropicale faisait partie de la bibliothèque de Jules Verne

Le même empereur du Brésil sera également mis en scène par Pierre de Sélènes dans Un Monde inconnu – deux ans sur la Lune (Ernest Flammarion, Paris, 1896), un roman donnant une suite à De la Terre à la Lune et Autour de la Lune. Il y aura le rôle d'un sympatique mécène, finançant un système de communication entre la Terre et la Lune.


Clovis Dardentor (1896) et le faux astronome.

Le roman Clovis Dardentor, une sorte de Voyage de Monsieur Perrichon (la comparaison avec cette pièce de Labiche est suggérée par Jules Verne lui-même) se déroulant à travers la Méditerranée et en Algérie, est écrit comme un vaudeville :

« Mais, dira-t-on, cela finit comme un vaudeville... Eh bien ! qu'est ce récit sinon un vaudeville sans couplets, et avec le dénouement obligatoire du mariage au moment où le rideau baisse ?... » (Conclusion du roman.)

Nous ajouterons que calembour et qui proquo sont les deux mamelles du vaudeville à la française.

Et en effet, un personnage original du roman, Eustache Oriental, nous est présenté comme le Président de la Société astronomique de Montélimar. Il ne se sépare pas de sa lunette portée en bandoulière, mais c’est un singulier astronome, peu communicatif, et qui ne pense qu’à manger ! L’explication viendra vers la fin du roman : ce personnage est en fait le Président de la Société gastronomique de Montélimar. « Après tout, un gastronome, c’est un astronome paré des plumes du g. » (Chap. XV).



Le (g)astronome Eustache Oriental, avec sa longue-vue, pique-niquant avec les autres excursionnistes (gravure de Benett).

Signalons que Astronome Gastronome a été le thème d'une exposition présentée par Geneviève Anhoury et Sébastien Charnoz à l'ex-Palais de la découverte (13 octobre 2009–10 janvier 2010), et qu'une illustration sur le thème du (g)astronome a récemment (24 juillet 2010) été publiée dans la rubrique gastronomique du journal Le Monde :



Signalons enfin que Jules Verne ne manque pas de faire visiter à ses excursionnistes, au passage, le château de Belver à Formentera (Baléares), où plane le souvenir de son héros François Arago (voir à ce sujet les Aventures de trois Russes et de trois Anglais).

« Arago... Arago... s'écria Clovis Dardentor, l'une des gloires de la France savante !

Effectivement, l'illustre astronome était venu en 1808 aux Baléares, dans le but de compléter la mesure d'un arc de méridien entre Dunkerque et Formentera. Suspecté par la population majorquaise, menacé même de mort, il fut emprisonné dans le château de Bellver pendant deux mois. Et combien de temps eût duré son emprisonnement, s'il n'avait réussit à s'échapper par une des fenêtres du castillo, puis à frêter une barque qui le conduisit à Alger.

Arago, répétait Clovis Dardentor, le célèbre enfant d'Estagel, le glorieux fils de mon arrondissement de Perpignan, de mes Pyrénées-Orientales ! » (Chap. VII.)


François Arago (1786–1853).

© 2006–2011 Jacques Crovisier

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