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À propos du bruit thermique en plasma magnétisé

Lorsqu'une antenne électrique est immergée dans un plasma stable, le mouvement d'agitation thermique des particules chargées produit des fluctuations de la tension mesurée aux bornes de l'antenne. Ce bruit (quasi)-thermique peut être calculé formellement en fonction de la distribution de vitesses des particules et de la géométrie de l'antenne [Meyer-Vernet and Perche, 1989]. Inversement, la spectroscopie de ce bruit peut être utilisée pour remonter aux paramètres physiques du plasma (voir annexe A.2). Bien entendu, il existe des configurations plus ou moins favorablesgif pour que «ça marche», dépendantes à la fois du plasma et de l'antenne (par exemple, ça marche remarquablement bien avec Ulysse/URAP dans le vent solaire, voir annexe A.2). De toutes façons, exploitable ou pas, ce bruit thermique est un phénomène incontournable qui sera rencontré par toute expérience radio (suffisamment sensible) qui se promène dans un plasma.

En présence d'un fort champ magnétique cependant, le bruit thermique devient assez difficile (c'est un euphémisme) à calculer, même pour une simple distribution maxwellienne des vitesses (c'est-à-dire pour un plasma à l'équilibre) et les tentatives faites prennent seulement en compte les contributions de modes particuliers [Sentman, 1982, ,] et négligent la géométrie d'antenne. Nous ne disposons donc pas actuellement d'un profil théorique de bruit thermique en plasma magnétisé pour modéliser les mesures d'Ulysse dans le tore de plasma d'Io comme on en dispose dans le vent solaire.

Avant l'analyse détaillée des spectres présentée ici, le seul diagnostic possible se limitait à la fréquence plasma ( tex2html_wrap_inline3220 sur la figure i.4) dans la partie la plus dense du tore. En effet, malgré l'absence d'un calcul précis du bruit thermique, on peut utiliser le pic de densité spectrale attendu aux fréquences de résonances «habituelles» des ondes électrostatiques, qui peuvent être, en présence de champ magnétique, la fréquence plasma et/ou la fréquence hybride-haute et/ou la première fréquence tex2html_wrap_inline3222 des modes de Bernstein [Belmont, 1981, par ex.,]. Or ces fréquences sont très proches si la fréquence gyromagnétique est petite devant la fréquence plasmagif(d'où la restriction du diagnostic à la partie du tore la plus dense).

   figure322
Figure i.5: Minima et maxima (de la gyrofréquence à 48 kHz) des spectres URAP acquis lors de la traversée du tore. Les courbes basse et haute montre le bruit de fond de l'instrument (à la fréquence de chaque minimum) et le niveau de saturation, respectivement. Nous avons indiqué pour comparaison les bruits de fond instrumentaux de PRA sur Voyager 1, et de PWS sur Galileo. La ligne verticale pointillée indique l'équateur magnétique.

À supposer qu'on dispose d'un modèle de bruit thermique en milieu magnétisé, rien n'indiquait a priori qu'on pourrait «voir» ce bruit sur les spectres acquis dans le tore d'Io, en particulier si celui-ci s'avérait négligeable à côté d'émissions en tous genres, dues par exemple à des instabilités liées à des distributions d'énergie très «exotiques», et susceptibles de complètement masquer ce bruit. Or, il n'en a rien été, et un point-clé de l'analyse du spectrogramme basses-fréquences de la fig.i.4 est la remarquable stabilité de la densité spectrale pendant ces 9 heures d'observations. On montre cette stabilité sur la figure i.5 où sont représentées les valeurs extrêmes atteintes par le signal en fonction du temps : d'une part, les minima du signal restent à un niveau très stable (excepté les nettes variations due à l'addition du signal de l'antenne Z durant les périodes indiquées par des hachures). Cette stabilité n'est pas un effet de seuil de sensibilité, car ces minima sont mesurés largement au-dessus du bruit de fond de l'instrumentgif. D'autre part, les maxima atteints sont restés aussi à un niveau assez stable (l'instrument n'a saturé que pour quelques spectres au voisinage de l'équateur magnétique). Il serait très surprenant que des instabilités aient fourni pendant neuf heures la puissance idoine pour maintenir l'amplitude absolue du signal collecté d'un spectre à l'autre à un niveau aussi stable!

Outre la stabilité des extrema de la puissance spectrale, ceux-ci sont mesurés à des fréquences bien particulières : comme on le voit sur la figure i.6, les minima (absolus) sont très majoritairement placés sur les harmoniques de la gyrofréquence et les maxima (absolus) se trouvent à mi-chemin entre celles-ci.

   figure332
Figure i.6: Fréquences des minima absolus (cercles) et des maxima absolus (points) du spectre dynamique I.4 . On a tracé la fréquence gyromagnétique et quelques-unes de ses harmoniques.

Plus généralement, comme on l'a déjà remarqué sur le spectre BF de la fig.i.4, les spectres présentent tous une modulation en rapport étroit avec le mouvement cyclotron des électrons : ils atteignent des minima relatifs aux fréquences gyroharmoniquesgif et présentent un accroissement (modéré) de densité spectrale entre chacune de ces fréquences. L'interprétation s'impose naturellement : le bruit qui «surnage» au-dessus du bruit minimum mesuré par l'antenne, entre les fréquences gyroharmoniques, doit être dû aux ondes électrostatiques entretenues par le mouvement cyclotron des électrons, autrement dit les modes de Bernstein (qui sont, par définition, des ondes électrostatiques propageant perpendiculairement au champ magnétique). Ces modes propagent sans amortissement entre les harmoniques de la fréquence gyromagnétique tex2html_wrap_inline3544 , ce qui en fait des candidats de choix pour expliquer l'accroissement du signal entre ces harmoniques mais il convient d'y regarder d'un peu plus près concernant les conditions d'amortissement des ondes dans un plasma magnétisé.

Rappelons qu'une condition générale pour des électrons de vitesse moyenne tex2html_wrap_inline3546 d'amortir (ou d'exciter) une onde tex2html_wrap_inline3548 est [Stix, 1992, voir par ex. p270,]: tex2html_wrap_inline3550 (n est un nombre entier), ce qui n'exprime rien d'autre que l'égalité entre la fréquence de l'onde et celle de l'oscillateur formé par les électrons dans leur gyration autour des lignes de champ, compte-tenu du décalage Doppler dû à leur mouvement le long des lignes de champ. Si on considère une distribution des vitesses à deux populations froide et chaude (core + halo), cette condition d'amortissement explique pourquoi on ne voit entre les gyroharmoniques que les modes dont le tex2html_wrap_inline3554 est suffisamment petit pour qu'ils ne soient pas amortis par le gros des électrons (les froids), ce qui nécessite effectivement tex2html_wrap_inline3556 petit devant tex2html_wrap_inline3558 . Ceci explique aussi pourquoi l'augmentation du signal entre les gyroharmoniques sera contrôlée par la population chaude (ou halo) des électrons. Notons qu'exactement à la fréquence gyromagnétique (ou à une de ses harmoniques) ce non-amortissement gradué par les chauds disparaît et le bruit est minimum, correspondant au bruit thermique «sans mode de Bernstein», produit essentiellement par les électrons froids.

Les explications qui précèdent sont purement qualitatives et n'ont d'autre but que de montrer la démarche heuristique qui a prévalu pour analyser ces spectres d'Ulysse. On a en particulier omis de parler de la partie «antenne», qui va favoriser ou atténuer tels ou tels modes. On trouvera les calculs détaillés quantifiant le raisonnement «sur le coin de la table» précédent (et tenant compte de la réponse d'antenne) dans [Meyer-Vernet, Hoang and Moncuquet, 1993] et dans les deux articles présentés au chapitre suivant. Les résultats de ces calculs comparés aux mesures d'Ulysse sont autant de vérifications de l'auto-cohérence de notre interprétation; à cet égard, on peut citer :

1) l'élévation du niveau de bruit observée entre les gyroharmoniques est celle obtenue par le calcul en mode de Bernstein [Meyer-Vernet, Hoang and Moncuquet, 1993] pour une population d'électrons chauds telle que celle observéegif sur Voyager 1 par [Sittler and Strobel, 1987]

2) La modulation due à la rotation de l'antenne dans le champ magnétique est celle attendue pour les modes de Bernstein (le signal est maximum quand l'antenne est parallèle à tex2html_wrap_inline3354 pour des longueurs d'onde petites devant la longueur de l'antenne), et est l'opposé de ce qu'on attend pour des ondes (de Langmuir) propageant parallèlement à tex2html_wrap_inline3354 .

3) Les courbes de dispersion obtenues expérimentalementgif à partir des spectres d'Ulysse (voir ici ) sont très semblables aux courbes de dispersion théoriques des modes de Bernstein.

4) Le niveau minimal du bruit observé aux gyroharmoniques est bien celui que l'on calcule avec les densités déterminées dans [Hoang et al., 1993] et les températures des froids déterminées dans
[Moncuquet, Meyer-Vernet and Hoang, 1995] (déterminations indépendantes bien sûr de ce niveau).

Notons pour finir ce chapitre que notre analyse de ces «bandes» de bruit entre les gyroharmoniques observées par Ulysse montre que celles-ci ne sont pas dues à des instabilités du plasma; cela est aussi vrai pour les bandes de bruit observées dans le tore avec Voyager 1 par [Birmingham et al., 1981] (ce qui avait d'ailleurs été suggéré par [Couturier et al., 1981] et vérifié par [Sentman, 1982]). Il en va généralement de même, contrairement à ce qui est souvent affirmé avec aplomb, des émissions dites « tex2html_wrap_inline3564 » observées dans d'autres magnétosphères.


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Michel Moncuquet
Tue Jan 13 19:37:26 MET 1998