Revenons d'abord brièvement sur l'aspect «mesures» : les méthodes que nous avons développées pourront bien évidemment servir de base (et servent en partie déjà, voir annexe A.3) pour l'amélioration et l'utilisation de la spectroscopie du bruit quasi-thermique dans d'autres expériences mesurant d'autres plasmas magnétisés. Je renvoie le lecteur à la section iii.2, dans laquelle j'ai déjà décrit ce qu'on espérait de ces nouvelles méthodes pour quelques missions présentes et futures.
En ce qui concerne la modélisation du tore de plasma d'Io, et, plus généralement des plasmas (sans collisions) dans des magnétosphères en corotation rapide, le nouveau modèle que je propose ici devrait ouvrir la voie à d'autres générations de modèles à distributions non-maxwelliennes (la distribution kappa ou bi-kappa n'étant, répétons-le, qu'un exemple commode de telles distributions) qui pourrait combler les nombreux manques de notre modèle. Ainsi par exemple, notre modèle n'est prédictif que dans une seule dimension, celle de l'extension du tore en latitude, et reste empirique pour l'extension radiale (fondé sur les données de Voyager 1, et supposé symétrique azimutalement). Par conséquent, en plus de l'acquisition sur des expériences spatiales ou au sol de valeurs de références de kappa et/ou d'anisotropies qui nous font cruellement défaut pour la modélisation en latitude, une importante amélioration et généralisation peut (et doit) avoir lieu dans le sens d'une vraie modélisation de la variation radiale des densités et températures. Cela passe par la prise en compte pour construire le modèle d'une bonne explication théorique (bien sûr compatible avec toutes les mesures), du transport du plasma à l'extérieur de son lieu d'assimilation, c'est-à-dire des mécanismes de diffusion radiale dans le tore de plasma d'Io.
Notons à cet égard que les modèles de diffusion radiale fondés sur les équations MHD ne sont nullement incompatibles avec une description cinétique locale du plasma non-maxwellienne le long des lignes de champ telle que je la propose, puisque, comme on l'a expliqué à plusieurs reprises dans la thèse, les échelles caractéristiques (de temps et d'espace) des processus de confinement sont beaucoup plus petites que celles des processus de diffusion radiale du plasma. Autrement dit, la mise en oeuvre d'un modèle 2-D alliant des distributions bi-kappa pour le calcul du confinement le long des lignes de champ et de la diffusion radiale MHD pour l'autre dimension doit être envisagée.
Une autre généralisation consiste à introduire dans le modèle des variations
azimutales (ou temporelles) observées, ce qui ne pose aucun problème technique
particulier, si ce n'est que, comme ces variations sont pour l'essentiel
inexpliquées, la construction d'un modèle 3-D restera empirique, jusqu'à ce
qu'on comprenne physiquement pourquoi de telles variations existent. Cette
compréhension requiert une connaissance globale de la magnétosphère jovienne,
qui nécessite des observations continues et à long terme, depuis la Terre (avec
notamment des satellites d'observation radio spécifiques de Jupiter ou Saturne,
comme -ORAJES, et bien sûr aussi des observations depuis le sol) ou en
envoyant des sondes
d'observations in situ «résidentes» dans la
magnétosphère de Jupiter (on peut rêver).
En ce qui concerne les perspectives d'utilisation du code existant, on a déjà mentionné la possibilité de substituer aux données de références de Voyager 1 celles de Galileo, mais bien entendu, il serait surtout important de confronter notre modèle tel quel avec les mesures de Galileo, comme on l'a fait pour Ulysse. On espère en particulier pouvoir dire si le tore vu par Galileo est très différent de celui vu par Voyager 1, comme les premières publications sur le sujet le laissent entendre. Ce travail est en cours, et un point est assez encourageant: l'observation conjointe d'un plus grand confinement autour de l'équateur et d'une densité moins raréfiée aux hautes latitudes que les modèles «maxwellien» le prévoyaient, va a priori dans le sens que ce que prédit notre modèle «non-maxwellien».
Notons pour finir que notre modèle remet en cause ce qui était
considéré à tort avant Ulysse comme la structure la mieux comprise du tore de
plasma d'Io, à savoir son confinement de part et d'autre de l'équateur
centrifuge. Il constitue donc pour les radio-astronomes une amélioration des
modèles empiriques existants en donnant une vue plus réaliste de l'extension
latitudinale du tore, même s'il ne fournit pas un modèle prêt-à-l'emploi,
notamment à cause du choix arbitraire des kappa et des anisotropies, mais
notons qu'un tel modèle complet n'existe pas pour le moment. Je conclurai à
cet égard par une dernière remarque, personnelle : il se trouve que j'ai
troqué, en cours de thèse, l'ambition (certainement démesurée) de fournir un
modèle spatial de tore «clef en main» contre une découverte expérimentale
dans une seule dimension, certes, mais qui m'a permis de débusquer une idée
fausse et largement répandue - l'équilibre thermique local du tore -, ce qui est
toujours très plaisant. Et mis à part ce plaisir très sérendipiteux,
j'ose aussi
espérer que ce travail de thèse ne restera pas sans conséquence pour les
futures études et modélisations du tore de plasma d'Io.