vendredi 29 septembre 2017, par Etienne Pariat, Véronique Bommier
À la surface du Soleil, le champ magnétique joue un rôle très important parce que la matière y est à l’état de gaz ionisé (plasma), et qu’il y a d’étroites relations physiques entre champ magnétique et particules chargées en mouvement. Le champ magnétique peut contraindre et éjecter la matière chargée. L’éjection de matière solaire sous l’effet du champ magnétique est à l’origine des événements du "Space Weather" — au sens de : "temps qu’il fait dans l’espace" — sujet de l’équipe thématique transverse "Perturbations héliosphériques et météorologie de l’espace". On peut classer l’activité ou l’éjection de matière solaire selon deux types :
Ces deux thématiques sont le sujet de travail de notre équipe, que l’on déclinera brièvement ci-dessous de la surface à la couronne solaire, de l’observation à la modélisation en passant par l’instrumentation, sans oublier l’enseignement.
Nous mesurons le champ magnétique dans la zone visible la plus basse de l’atmosphère solaire, la photosphère. Nous mesurons ce champ à distance par interprétation de l’effet Zeeman et par spectropolarimétrie. Le télescope solaire français THEMIS implanté sur le site de l’Observatoire du Teide sur l’île de Tenerife, a été fondamental pour la mise au point de notre chaîne de traitement : inversion des données spectropolarimétriques puis levée de l’ambiguïté des solutions. Inverser, c’est remonter (par la théorie) de la polarisation observée au champ magnétique qui l’a créée, et les solutions peuvent être multiples. Les cartes réalisées à partir de données THEMIS sont visibles sur le site BASS2000 de Tarbes et sur la page personnelle de Véronique Bommier. Cette technique est maintenant appliquée aux données du télescope SOT/SP embarqué sur le satellite HINODE (carte ci-dessous d’une tache solaire). Nous inversons également des données du magnétographe HMI embarqué sur le satellite SDO (film ci-dessous de la densité de courant électrique vertical, avant et après une éruption).
Pour préparer ces cartes pour de la prévision, il faut leur ajouter le "facteur temps", l’évolution temporelle. Nous allons pouvoir faire cela à partir des données de HINODE/SOT/SP qui sont prises depuis fin 2006, souvent régulièrement heure par heure. Lorsqu’on dispose d’une séquence de cartes du champ magnétique, on peut mesurer le flux de l’hélicité magnétique à travers la surface solaire. L’hélicité magnétique est une mesure globale de la torsion, du cisaillement et de l’entortillement du champ magnétique. Son étude peut apporter une information importante sur la potentialité d’éruption de la région où l’hélicité apparaît. Notre groupe travaille sur la théorie de la mesure de cette quantité et sur le développement pratique de méthodes d’estimation de l’hélicité magnétique dans l’atmosphère solaire.
Données spectropolarimétriques du télescope SOT/SP embarqué sur le satellite HINODE. Région active NOAA 10956 observée le 17/05/2007. Inversion UNNOFIT et résolution d’ambiguïté DIVB2, faites au LESIA.
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)
Données spectropolarimétrique de l’instrument HMI embarqué sur le satellite SDO. Région active NOAA 11158 observée le 15/02/2011 de 0h à 4h TU. La densité de courant (ici composante verticale) est déduite du rotationnel du vecteur champ magnétique (calculé au LESIA par inversion UNNOFIT). Une éruption importante (classe X2) se produit au milieu du film : noter l’augmentation de la surface de courants descendants (en bleu) au centre de l’image, à partir de ce moment, conformément au comportement de la simulation d’éruption réalisée au LESIA et présentée plus bas dans cette page web.
Nous faisons également (théorie et observations) des mesures de champ magnétique faible par interprétation de l’effet Hanle, qui est visible dans le "second spectre solaire", ou spectre de la polarisation linéaire formée par diffusion et observée au bord du disque solaire, quelques secondes d’arc à l’intérieur du bord. Ce travail sera repris avec le futur télescope solaire européen de 4m EST, ainsi que l’investigation du champ magnétique à haute résolution spatiale.
Nous effectuons avec les satellites SDO et HINODE des observations de la photosphère solaire à haute résolution spatiale dans le but de reconstituer les champs de vitesse horizontaux par mesure des déplacements granulaires, et même le vecteur vitesse en y ajoutant la mesure du champ de vitesse vertical par effet Doppler. De nombreuses études sont actuellement en cours à partir de ces jeux de données : analyse de la rotation différentielle du Soleil, étude des événements acoustiques et de la propagation des ondes au travers de l’atmosphère, spectres en énergie de la granulation, fragmentation arborescente de la granulation (collaboration avec l’IRAP)
Cette carte est tirée de 45mn d’observations effectuées en août 2007 avec le filtre imageur à large bande BFI du télescope SOT du satellite HINODE, dans une région sans activité. Nous avons appliqué notre logiciel CST ("coherent structure tracking") à cette série temporelle d’images. Les vitesses divergent à partir du centre de chaque granule et les contours indiquent cette divergence. Nous terminons par des études statistiques sur cette distribution de vitesses. Fig.2 de Rieutord, Roudier, Rincon, Malherbe, et al. (2010)
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)
En vert : les granules (leur diamètre est de l’ordre de 1000km). En bleu et rouge : le flux d’énergie des ondes acoustiques qui sont concentrées dans les espaces intergranulaires, montantes (en bleu), ou descendantes (en rouge). Ce diagnostic a été effectué au LESIA en mettant en évidence par transformée de Hilbert, le déphasage des vitesses Doppler mesurées à différentes profondeurs.
Ces mesures de surface servent ensuite de conditions aux limites pour la reconstruction 3D du champ magnétique au-dessus de la surface (exemple ci-dessous, dont l’observation est la superposition d’images en rayons X du télescope XRT du satellite HINODE, et de champs magnétiques observés par le magnétographe HMI du satellite SDO). Les observations de champ magnétique vectoriel permettent aussi de connaître les courants électriques. Les endroits où le champ magnétique se courbe peuvent être des endroits de forts courants. Cela peut être aussi des creux de ligne de champ où la matière peut s’accumuler. Dans la modélisation cela correspond aux "séparatrices" ou "quasi-séparatrices" qui sont des frontières entre des zones de connectivité différente des lignes de champ. La reconstruction permet de les mettre en évidence, ainsi que l’émergence de flux magnétique depuis les profondeurs sous la forme de tube de flux torsadés, localisés justement sur les lignes neutres du champ magnétique. On peut ensuite simuler l’évolution des structures, par exemple sous l’effet de petites perturbations appliquées aux pieds des lignes de force. C’est là où les lignes de champ changent de direction (de "connectivité") que la probabilité d’une "reconnection" (réarrangement) du champ magnétique est la plus grande, qui peut directement produire une éjection de matière. Les reconstructions 3D nous permettent aussi de déterminer des quantités globales importantes pour caractériser les structures solaires :
Une thèse est actuellement en cours au laboratoire sur le calcul et le tracé de l’hélicité.
Cette activité de recherche nous a en outre conduits à offrir à la communauté scientifique un service de calcul des champs magnétiques coronaux.
Cette simulation de Aulanier, Janvier & Schmieder (2012) utilise le code OHM créé au LESIA. Les courants électriques verticaux sont représentés en niveaux de gris sur l’image de gauche. Ils forment deux filets qui s’écartent au cours de l’éruption. Un comportement similaire de courants se formant de plus en plus loin du centre, est visible sur le film de densité de courant mesurés avec HMI autour de l’éruption X2 du 15 février 2011 (plus haut dans la page web).
Ces objets sont des concentrations de matière plus froide dans la couronne plus chaude. La matière se concentre dans des creux de ligne de champ coronal, au-dessus d’une ligne neutre du champ superficiel (photosphérique). Au-dessus et autour se trouve donc une cavité coronale, vidée. Vus sur le côté du disque solaire, ces objets sont appelés protubérances (image ci-dessous, du télescope SOT du satellite HINODE, dans la raie Halpha de l’hydrogène). Vus en absorption sur le disque solaire, on les appelle filaments à cause de leur forme allongée, mais c’est le même objet. Les protubérances/filaments ont fait l’objet de nombreuses études : mesure de champ magnétique par effet Hanle, cartographie synoptique systématique à Meudon, modélisations. Leur apparition, les mécanismes de leur disparition, leur structure même (filamentaire ou non, en gouttes ou non) sont encore l’objet de controverses. 20% des éjections de masse coronale résultent de l’envol de protubérances/filaments quiescents (hors de régions actives).
Les protubérances observées à haute résolution temporelle par les satellites HINODE (ci-dessus : protubérance observée le 25/04/2007), SDO/AIA et le DPSM de Bialkow (Pologne) ont mis en évidence l’existence de bulles montantes sous leurs ancrages dans la photosphère. Interprétées comme des instabilités thermiques par la communauté internationale, elles peuvent s’interpréter plus simplement comme des bulles de champ magnétique dues à l’émergence d’un nouveau bipole comme simulée à gauche (Dudik, Aulanier, Schmieder, et al., 2012)._ (cliquer sur l’image pour l’agrandir)
L’observation "soleil entier" des filaments et des régions actives est effectuée chaque jour depuis 100 ans au spectrohéliographe de l’Observatoire de Meudon (20mn de beau temps suffisent), et les données immédiatement mises en ligne sur le site BASS2000 de Meudon. L’observation des protubérances sur le ciel en interposant une "densité" sur le disque solaire pour l’assombrir, a également lieu si possible. L’analyse de longues collections de données comme celle-ci a récemment permis de modéliser l’énergie maximum qui pourrait être émise par une éruption solaire (Aulanier et al., 2013) : voir le communiqué de presse "Éruptions solaires : pas d’apocalypse en vue"
La couronne solaire peut être observée devant le disque solaire uniquement en UV ou en ondes radio. Le radiohéliographe de Nançay est le seul instrument au monde permettant cette imagerie dans le domaine de fréquences 150-450 MHz correspondant à la basse et à la moyenne couronne. En utilisant la technique interférométrique de synthèse d’ouverture (Mercier & Chambe, 2009), nous avons pu reconstituer des images de la couronne solaire à différentes altitudes, et mettre en évidence une structuration de la couronne :
Ci-dessous l’exemple du 20 juin 2007.
Images de la couronne solaire à 445 MHz (à gauche), plus bas dans l’atmosphère solaire, et à 173 MHz, plus haut dans l’atmosphère solaire, obtenues le 20/06/2007 avec le radiohéliographe de Nançay. Remarquer et comparer les filaments et les trous coronaux en sombre, et la forme des régions plus brillantes.
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)
Nous nous intéressons à la qualité des images reçues par les instruments au sol, qui sont des images étendues en physique solaire et qui sont brouillées par les turbulences de l’atmosphère terrestre. Nous sommes spécialistes de la théorie de la propagation de front d’onde à travers une atmosphère turbulente. Récemment, en appliquant la technique de l’intégration d’un nombre arbitraire de fonctions hypergéométriques par la transformée de Mellin, nous avons obtenu une expression générale de fonctions de corrélation spatiale de quantités reliées aux fluctuations de phase de l’onde se propageant (Molodij, 2011). Nous envisageons une généralisation au cas de l’optique adaptative multi-conjuguée, nécessaire pour les images étendues comme les images solaires.
La Tour Solaire sert de banc d’essai pour la mise au point de systèmes à double passage soustractif dans le spectrographe, ce qui permet la spectro-imagerie (obtention d’une image 2D avec des informations spectrales instantanées). Actuellement nous construisons un prototype à base de miroirs "slicer" que nous proposons pour le futur télescope solaire européen EST, ainsi qu’à d’autres instruments en projet (avec la Pologne notamment).
Le grand spectrographe de la Tour Solaire est utilisé dans le cadre du module "optique solaire et spectro-imagerie" dans le cadre d’une option de M1 du Master de l’Observatoire de Paris. Les étudiants s’initient à la spectroscopie, à la polarimétrie et à la mesure des champs magnétiques à l’aide d’un outil professionnel unique.
En M2 Recherche, le spectrographe est également employé au cours d’un trimestre par un binôme d’étudiants pour mener à bien une étude avec un degré d’initiative plus avancé.
Tous les ans, des étudiants des CPGE (classes préparatoires aux grandes écoles) sollicitent une observation à la Tour dans le cadre de leur TIPE.
Au premier plan : les instruments d’observation systématique (1 observation par jour si le temps le permet, depuis 100 ans). Au second plan, la coupole abritant la "table équatoriale" qui est un support de divers instruments. En arrière-plan : vue sur Paris : la Tour Eiffel et le Sacré-Cœur.
Crédits photo : LESIA/SIGAL
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)
Chercheurs participant à cette thématique :