mardi 21 novembre 2023, par Luc Heintze
« Quand, à 15 ans, j’ai décidé que je voulais m’orienter vers l’astronomie, on m’a bien fait comprendre que je cochais toutes les mauvaises cases. J’étais une fille, originaire de Grèce, un petit pays. Je ne le quitterais donc jamais. En plus de tout ça, j’étais issue d’une famille de militaires. Un milieu où ces choses-là ne se font pas. Il valait donc mieux, pour moi, étudier la littérature anglaise et enseigner ». Ainsi s’exprime Athéna Coustenis au début de notre entretien. La suite de ce récit va démontrer le contraire. En octobre 2023, elle est élue vice-chairman (vice-présidente) de la DPS (Division for Planetary Sciences), la grande association internationale des planétologues qui dépend de l’AAS (American Astronomical Society). Après une année à ce poste, elle sera présidente puis présidente sortante. Des fonctions qui vont donc l’occuper jusqu’en octobre 2026. Elle sera même la première femme à ne pas être de nationalité américaine à diriger la DPS. À l’occasion de cette nomination, c’est son parcours singulier que nous vous invitons à découvrir à présent.
Athéna Coustenis est fille de diplomate. Elle a fait ses études au lycée français d’Athènes où elle a obtenu son Baccalauréat en 1980. Rien ne la prédisposait à devenir astronome. Tout au contraire. Elle était très littéraire et passionnée de lecture. Très curieuse d’esprit, c’est à 15 ans qu’elle découvre les ouvrages de Carl Sagan ainsi que la série Star Trek et qu’elle se prend de passion pour l’astronomie. Elle a trouvé sa voie. Rien, désormais, ne la fera dévier de son objectif. Peu convaincus de sa vocation, ses parents la persuadent d’étudier, en parallèle, l’astronomie et la littérature anglaise. Pour eux, c’est la seconde qui lui donnera un métier. Elle s’exécute donc, peut-être un peu pour s’acheter sa liberté. En 1980, son bac en poche, elle débarque à Paris. C’est un double cursus qui l’attend donc. Littérature anglaise jusqu’au doctorat à la Sorbonne Nouvelle et, ce qui va nous concerner plus directement, un doctorat d’astronomie à Pierre et Marie Curie.
C’est en 1986 qu’elle arrive sur notre site de Meudon, pour faire un DEA (master 2) d’astronomie, astrophysique et techniques spatiales dans un laboratoire qui s’appelle, à l’époque, le LAIR (Laboratoire Infra Rouge de Meudon). Elle n’en partira plus puisque le LAIR deviendra le DESPA, puis le LESIA. En 1987, Daniel Gautier lui propose de continuer son parcours par un doctorat sur Titan, en analysant les données collectées par Voyager. Elle va travailler, entre autres, avec Bruno Bézard, Régis Courtin, Michel Combes, Emmanuel Lellouch et Pierre Drossart. Elle soutient, en 1989, une thèse intitulée : « L’atmosphère de Titan à partir des observations infrarouges de Voyager ». Elle est alors une des rares à travailler sur ce satellite de Saturne.
C’est donc naturellement qu’elle va continuer dans cette voie puisque le projet de la future mission Cassini Huygens, qui va explorer le système de Saturne à partir de 2004, démarre en 1990. Une suite de coups de chance professionnels reconnaît-t-elle.
Sur quatre propositions d’instruments dans lesquelles elle est impliquée, trois sont retenues. Elle va donc s’investir dans la conception de la caméra qui a produit de superbes images ; celle du thermomètre qui a effectué les mesures de température lors de la descente dans l’atmosphère de Titan et dans la réalisation de l’instrument infrarouge qui a permis de faire de nombreuses découvertes. Entre 1990 et octobre 1997, en attendant le lancement de la sonde Cassini Huygens, elle se consacre à faire des observations au sol et à préparer la mission. Les observations du système de Saturne commencent en 2004 et se terminent en 2017 avec Titan comme cible privilégiée.
Au cours des années 1990, elle s’est également consacrée à d’autres techniques dont l’optique adaptative, domaine d’excellence du LESIA, avec le groupe de Michel Combes et Éric Gendron au Cerro Paranal. Plus tard, dans les années 2000, elle est nommée co-responsable européenne d’une nouvelle mission TSSM (Titan Saturn System Mission), avec Jean-Pierre Lebreton et en collaboration avec des américains du JPL (Jet Propulsion Laboratory – Caltech, à Pasadena en Californie). Il s’agit d’une collaboration NASA-ESA dont la conception l’occupera pendant deux ans. TSSM a fait la Une des magazines par son côté innovateur. Un projet de montgolfière, en association avec le CNES, qui devait être envoyée sur Titan.
Un moment très enrichissant et formateur de sa carrière où elle apprend à « fabriquer » une mission spatiale dans toute sa complexité. Mission qui sera finalement abandonnée au profit d’un projet concurrent vers Jupiter qui, après quelques péripéties, en 2010, donnera naissance à Juice (Jupiter Icy Moons Explorer). Athéna Coustenis passe donc de Saturne à Jupiter puisqu’elle est nommée à la tête de cette mission en collaboration avec Michele Dougherty de l’Imperial College London. Une collaboration de 13 années : Juice a été lancée en avril 2023 de Kourou par une fusée Ariane 5. Elle va étudier le système de Jupiter et plus spécifiquement trois des quatre satellites galiléens : Callisto, Europe et Ganymède.
Crédits : JAXA
Mais elle ne se limite pas à cette mission. En collaboration avec Antonella Barucci, elle embarque également pour la banlieue de Mars avec la mission MMX (Martian Moons Exploration) qui décollera en 2024. Son objectif ? Rien moins que ramener sur Terre, en 2029, un échantillon de sol de Phobos, un des deux satellites de Mars. La promesse d’une grande aventure et de belles découvertes.
Retour en arrière ! Il y a des rencontres qui comptent dans une vie et orientent des recherches. En 1996, Athéna rencontre Michel Mayor qui, l’année précédente, avec Didier Queloz, avait découvert la première exoplanète à l’Observatoire de Haute-Provence. Elle va donc collaborer avec lui, Giovanna Tinetti de UCL (University College London) et Jean Schneider de l’Observatoire de Paris pour se lancer dans l’étude des exoplanètes. Dans la suite de ce champ de recherches qui l’occupe quasiment depuis le début de sa carrière, elle va aussi s’impliquer dans la mission Ariel qui sera lancée en 2029. Son objectif est d’approfondir la connaissance d’exoplanètes d’ores et déjà identifiées et, à l’aide de la spectroscopie, d’essayer de comprendre la composition de leur atmosphère pour les caractériser.
En complément de ses activités de recherche et en lien direct avec elles, Athéna Coustenis considère qu’il est essentiel de se mettre au service de la communauté. Elle a donc occupé de nombreuses responsabilités dans divers cercles : au LESIA (conseil de laboratoire) ; à l’Observatoire de Paris (conseil scientifique) ; au CNRS (section 17) au sein d’instances locales, nationales ou internationales. Ainsi, de 2021 à 2022, elle était la seule Européenne à participer au Steering Committee du Decadal Survey de Planétologie et Astrobiologie de la NASEM/NASA, une instance qui se réunit tous les 10 ans pour décider des programmes de la NASA sur une décennie.
Au cours des 15 dernières années, elle a également occupé diverses fonctions consultatives et décisionnelles à l’ESA : présidente du Solar System and exploration Working Group ; membre du Space Science Advisory Committee qui décide des programmes spatiaux. Jusqu’à avril 2023, elle a dirigé le comité consultatif HESAC (Human Exploration and Science Advisory Committee) de l’ESA qui s’occupe aussi bien des astronautes que de la station spatiale internationale et des missions vers Mars et la Lune. Elle a même été la première femme à présider l’un de ces comités de l’ESA.
Ses responsabilités ne s’arrêtent pas là. En 2023, elle est élue présidente de la Basic Section de l’IAA (International Academy of Astronautics) et élue au bureau exécutif de l’UGGI (Union internationale de géodésie et de géophysique). Elle est par ailleurs présidente du panel sur la protection planétaire du COSPAR (Committee on Space Research) depuis 2018, instance mondiale qui regroupe 8 000 personnes à travers la planète. L’un des objectifs de ce panel est de faire appliquer le « Outer space treaty » ou « Traité sur l’espace » qui vise à contrôler les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra atmosphérique. Le but est de protéger les planètes du Système solaire de la contamination humaine et de réguler le prélèvement et le retour d’échantillons de sols de ces planètes.
Elle est en outre présidente du CERES (Comité d’Évaluation sur la Recherche et l’Exploration Spatiale) du CNES. Ce comité évalue les propositions de missions et d’instruments qui seront financés par le Centre.
Pour conclure cette liste impressionnante et loin d’être exhaustive de responsabilités, venons à présent à l’objet de ce récit : la nomination d’Athéna Coustenis à la tête de la DPS (Division for Planetary Sciences) en octobre 2023 pour une période de 3 ans. Fondée en 1968, c’est la principale association de planétologues au monde. Elle consacre ses recherches au Système solaire et regroupe 1 500 scientifiques. Très investie dans cette association qu’elle considère comme une grande famille, Athéna Coustenis en est membre depuis le début de sa carrière. Elle a même été secrétaire du DPS committee de 2007 à 2014. Elle en devient donc présidente et considère sa nomination à la fois comme un accomplissement et un grand honneur.
Le lecteur peut légitimement se poser la question de savoir comment Athéna Coustenis mène toutes ces activités de front. Elle avoue fort peu dormir et être, depuis toujours, animée par la passion de son métier. Lui reste-t-il un peu de temps pour des loisirs ? C’est à ce moment de l’échange que se fait le lien avec la littéraire des origines. À ses heures perdues… lorsqu’il y en a, elle adore écrire de courtes nouvelles policières. Des récits de 4 pages environ, construits autour d’un crime qu’il convient d’élucider. Le talent est au rendez-vous puisque certaines de ses nouvelles ont été publiées dans des revues littéraires. Une nouvelle corde à son arc qu’il conviendra peut-être, un jour, d’explorer.