mercredi 4 juin 2014, par Karine Issautier, Laurent Lamy
La dynamique des magnétosphères planétaires est principalement gouvernée par le vent solaire. Une façon d’étudier cette interaction est de mesurer la réponse aurorale induite par la compression soudaine des magnétosphères lors du passage de chocs interplanétaires (éjections de masse coronale, régions d’interaction en corotation), qui se propagent dans l’héliosphère depuis le soleil. Cette activité s’inscrit dans le cadre de la météorologie spatiale Soleil/planètes.
Sur l’image, on distingue des émissions intenses qui ont disparu le lendemain.
Les aurores polaires, visibles autour des pôles magnétiques, ne sont pas un phénomène propre à la Terre. Elles ont été observées sur Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune et même Mercure. Ces dernières possèdent en effet un champ magnétique dont l’action s’oppose à celle du vent solaire (en terme de pression). Le résultat est la création d’une magnétosphère, définie comme la région de l’espace dominée par le champ magnétique planétaire, qui est compressée côté soleil et allongée côté nuit. L’interaction des magnétosphères planétaires avec le vent solaire représente une source d’énergie importante, sinon la principale, pour les émissions aurorales, que l’on peut observer dans les domaines de longueur d’onde radio, ultraviolet, visible, infrarouge et X. L’intensité des aurores forme donc un outil de diagnostic précieux des conditions - variables - régnant dans le milieu interplanétaire au voisinage des planètes magnétisées.
En observant Saturne avec le télescope spatial Hubble en décembre 2000, des chercheurs du pôle plasmas du LESIA ont par exemple découvert une surbrillance inhabituelle des aurores UV (Fig. 1), qu’ils ont relié au passage d’une éjection de matière coronale - ou EMC - (Prangé et al., Nature, 2004). En remarquant l’alignement planétaire de la Terre, Jupiter et Saturne à la même période (Fig. 2), ces auteurs ont pu identifié l’EMC concernée, émise par le soleil un mois plus tôt (à 580km/s), et "l’allumage" consécutif des aurores de la Terre, Jupiter, puis Saturne au passage de cet évènement (Fig. 3), avec une intensification d’un facteur multiplicatif de 3-5 (Jupiter, Saturne) à 10 (la Terre).
Cette propriété peut être utilisée dans le sens inverse pour prédire le passage d’un choc interplanétaire, et l’allumage associé des aurores. Cette thématique, qui porte le nom de météorologie de l’espace, a été développée pour la Terre avec des prédictions quotidiennes de l’activité aurorale (voir http://spaceweather.com/) grâce aux observations du soleil fournies par des sondes spatiales, telles que Soho ou Stereo.
On peut également utiliser ces prédictions pour tenter d’observer les aurores des planètes lointaines au moment où elles sont activées. C’est par cette technique que les chercheurs du pôle plasmas ont récemment réussi à ré-observer les aurores d’Uranus pour la première fois depuis leur détection par la sonde Voyager 2 en 1986, avec Hubble qui en a, en outre, fourni les premières images (Lamy et al., Geophys. Res. Lett., 2012). Ces observations ont fait partie d’une campagne multi-planètes et multi-spectrale plus large, tirant partie de l’alignement planétaire entre la Terre, Jupiter et Uranus fin 2011. Une éjection de matière coronale intense partie du soleil le 6 Septembre a d’abord été mesurée à la Terre le 9 septembre. Elle a ensuite pu être observée à Jupiter grâce aux observations radio des sondes Stereo et Wind et du radiotélescope de Nançay 2 semaines plus tard, correspondant à une vitesse de propagation moyenne de 500km/s. Des observations Hubble et IRTF (télescope infrarouge à Hawaï) ont enfin été réalisées lors de son passage prédit à Uranus. Cette étude a ainsi permis d’obtenir les premières informations sur la magnétosphère très atypique d’Uranus depuis sa découverte. Pour plus d’information, se reporter à la page dédiée. Cette approche originale ouvre un nouveau champ d’étude très riche, des aurores, de la dynamique de la magnétosphère et de la haute atmosphère d’Uranus, voire de Neptune, et de nouvelles observations Hubble en prévision.
Notons que cette approche a aussi été utilisée de manière prédictive et à posteriori pour Jupiter et Saturne, et plusieurs études comparées de l’interaction vent solaire/planète (Jupiter, Saturne, Uranus) sont en cours.
Le suivi de l’activité aurorale planétaire au long cours est réalisé grâce à différents types d’observations impliquant directement le LESIA :
– observations continues dans le domaine radio avec les sondes Ulysses (Jupiter, Saturne, 1990-2009), Wind (la Terre, Jupiter, 1994-...) et Stereo (la Terre, Jupiter, 2006-...), Cassini (Saturne, 2004-...) et le réseau décamétrique du radiotélescope de Nançay (Jupiter, 1975-...)
– campagnes d’observations UV avec Hubble (Jupiter, Saturne, 1993-...).