mardi 21 novembre 2017, par Thierry Fouchet
Les atmosphères planétaires dans le système solaire présentent une grande diversité aussi bien dans leur aspect visuel, que dans leur système climatique. Et pourtant, toutes sont gouvernées par les mêmes lois physiques et toutes possèdent la même source de chaleur principale, le Soleil. La grande diversité trouve son origine dans la variété des conditions limites --- période de rotation sidérale, composition chimique, distance au Soleil, composition de la surface --- qui imposent à chacune des atmosphères de se comporter de manière particulière et unique. L’objectif de la recherche sur les atmosphères planétaires est de comprendre comment ces différentes conditions initiales donnent naissance à la variété des systèmes observés, et de comprendre comment ceux-ci ont évolué et évolueront dans l’avenir.
Au LESIA, nous sommes spécialisés dans la mesure des paramètres chimiques et climatiques des atmosphères : nous mesurons la composition chimique, la température, les vents et leurs variations saisonnières dans l’ensemble des atmosphères du système solaire. Pour ce faire, nous utilisons une technique très puissante, la spectroscopie, principalement dans le domaine infrarouge et le domaine sub-millimétrique. Nos mesures sont ensuite comparées avec des modèles climatiques et chimiques, afin de mieux comprendre la physique qui régit le fonctionnement global d’une atmosphère.
La source d’énergie d’une atmosphère est principalement le Soleil, mais son rayonnement est inégalement réparti (différences été/hiver et jour/nuit en particulier). La dynamique d’une atmosphère est forcée par ces différences et tend principalement à répartir la chaleur à l’ensemble de la planète. Cette dynamique engendre des systèmes météorologiques sur le court terme, et sur une échelle de temps plus longue, des systèmes climatiques.
Une force essentielle de la dynamique est la force de Coriolis. De son amplitude dépend la nature du climat. Si elle est importante, elle entraîne la formation de vortex (tourbillons) aux moyennes latitudes, que nous connaissons sur Terre sous la forme des dépressions qui rythment notre météo hivernale. Si la force de Coriolis est faible, la circulation est plutôt laminaire, équivalente à la circulation des alizés dans les régions équatoriales terrestres. La force de Coriolis est directement proportionnelle à la vitesse de rotation angulaire de la planète. Nous allons découper notre exploration entre planètes à rotation lente et celles à rotation rapide.
Cette image de Vénus, planète à rotation lente, est composite. Dans l’hémisphère gauche les nuages sont vus en réflexion, tandis que dans l’hémisphère droit, les nuages sont vus en transmission.
La Terre est une planète à rotation rapide. Aux latitudes moyennes, ils se créent des tourbillons (nos dépressions), tandis que sur Vénus la circulation est laminaire.
Les planètes à rotation lente
Vénus et Titan sont les deux objets du système solaire qui rentrent dans cette catégorie. Même si les deux atmosphères sont de compositions chimiques complètement différentes (principalement CO2 pour Vénus et N2 pour Titan), leur dynamique est marquée par la super-rotation : l’atmosphère visible tourne beaucoup plus vite que la surface de l’objet (4 jours contre 243 jours pour Vénus). C’est une conséquence de l’absence de force de Coriolis, mais le mécanisme d’établissement de la super-rotation demeure encore mystérieux. Au LESIA nous participons à l’étude des deux objets à travers les missions Cassini/Huygens (ESA et NASA) et Venus Express de l’ESA. Sur Venus Express nous avons réalisé le spectro-imageur VIRTIS, et sur Cassini-Huygens nous avons participé (réalisation et exploitation des données) à plusieurs instruments : DISR, VIMS et CIRS.
Sur Titan, DISR embarqué à bord de la sonde de descente Huygens a révélé que la surface de Titan est modelée, comme la surface terrestre, par des cycles de précipitations, non pas d’eau, mais de méthane ou d’éthane. Depuis la descente de Huygens, plusieurs lacs de méthane ou d’éthane liquide ont été observés à proximité des pôles. Dans l’atmosphère de Titan, composée d’azote (N2, 95%), de méthane (CH4, 5%) et d’autres gaz peu abondants (gaz mineurs), le climat est marqué par des températures froides (-180°C à la surface) qui permettent au méthane de condenser et de pleuvoir à la surface. Ces précipitations sont modulées par le rythme saisonnier. Nous avons observé ce rythme avec l’instrument CIRS qui mesure la composition chimique et la température atmosphérique. Au début de la mission, nous avons mis en évidence un mouvement d’ensemble de l’atmosphère qui transporte l’air chaud depuis l’hémisphère sud, alors en été jusqu’aux zones polaires nord en hiver. Nous avons observé la signature de ce mouvement dans le champ de température, mais aussi en mesurant les gaz mineurs, dont l’abondance est plus grande au pôle nord où les masses d’air convergent. Un tel mouvement de pôle à pôle n’est possible que parce que la force de Coriolis est faible sur Titan. Une fois transportés aux pôles, les gaz mineurs condensent et précipitent pour former des lacs ou d’épais brouillards photochimiques. La très longue durée de la mission Cassini, une demi-année de Saturne, a permis de d’observer l’inversion de cette circulation, qui en 2017 enrichissait le pôle sud hivernal en éléments chimiques. La très forte baisse de la température dans la région polaire sud a aussi permis conduit à la condensation de glace de benzène autour du pôle sud.
Sur Vénus, l’instrument VIRTIS a permis d’établir également que la circulation atmosphérique transporte de l’air depuis l’équateur jusqu’aux pôles de la planète. Sur Vénus, dont le gaz principal est le CO2, nous avons suivi des gaz différents de Titan (le CO, mais aussi des composés soufrés tels que SO2), et également l’évolution temporelle de la couverture nuageuse. A l’équateur, nous observons la convection qui évacue à travers la couche nuageuse l’énergie déposée par le Soleil. L’air est ensuite transporté jusqu’aux pôles grâce à l’absence de la force de Coriolis et nous observons aux pôles un enrichissement en CO, signature de cette circulation. Sur Vénus, les composés soufrés sont des indices d’activité volcanique récente, à l’échelle géologique, c’est-à-dire tout de même une centaine de millions d’années. VIRTIS a d’ailleurs mesuré quelques anomalies de température à la surface, interprétées comme des signatures d’un volcanismes anciens ou toujours actifs.
Les planètes à rotation rapide
Mars présente un système climatique par certains côtés très similaire à celui de la Terre : saisons marquées, rotation rapide qui induit l’existence de perturbations aux moyennes latitudes, calottes polaires qui constituent une source et un puits d’eau. Il existe aussi de grandes différences, puisque l’atmosphère de Mars est une atmosphère à l’équilibre avec un réservoir de CO2 aux pôles de la planète. Il n’existe pas non plus d’océan à la surface de Mars, ce qui réduit encore l’inertie de la planète. La mission Mars Express de l’ESA observe la planète Mars depuis maintenant plus de 14 ans. Au LESIA, nous avons réalisé en partie l’instrument OMEGA, un spectro-imageur visible et infrarouge, et nous avons participé à l’analyse des données de l’instrument PFS. Nous étudions principalement le cycle de l’eau : nous observons la sublimation de l’eau aux dessus de la calotte polaire en été, le transport de l’eau vers l’équateur puis dans l’hémisphère hivernale et sa condensation sur la calotte polaire. Des modèles numériques du cycle de l’eau sont développés à partir de ces observations. Le modèle est ensuite utilisé pour comprendre comment le climat a évolué sur Mars dans un passé récent, voire éloigné.
Si les missions spatiales sont essentielles pour obtenir une cartographie fine de la surface des planètes, les observations au sol, beaucoup plus sensibles, restent indispensables pour suivre des espèces mineures. Ainsi, nous continuons d’observer Mars régulièrement pour comprendre le mécanisme de production et de destruction saisonnières de molécules très oxydantes, comme le peroxyde d’hydrogène (H2O2) qui serait le responsable de la couleur rouge de la planète Mars.
Cette carte montre la température dans l’atmosphère de Saturne en fonction de la latitude et de la pression. On voit que l’hémisphère nord, en hiver, est plus froid que l’hémisphère sud en été. Centré sur l’équateur, une oscillation de température montre que des ondes de gravité se propagent verticalement.
Les planètes géantes sont des planètes à rotation rapide, où la force de Coriolis est donc forte. C’est cette force de Coriolis qui induit l’existence de multiples anti-cyclones et dépressions dans les atmosphères des planètes géantes, telle la célèbre tache rouge de Jupiter. Au LESIA, en ce moment nous étudions principalement l’atmosphère de la planète Saturne grâce à la mission Cassini/Huygens et aux instruments CIRS et VIMS. L’atmosphère des planètes géantes, riches en H2 et CH4, est le siège d’une photochimie, initiée par le rayonnement ultraviolet solaire, qui produit des hydrocarbures lourds, éthane (C2H6), acétylène (C2H2),…, jusqu’au benzène (C6H6) . Avec CIRS nous mesurons la température et la composition chimique de l’atmosphère de Saturne, et nous cherchons à comprendre comment sont couplées photochimie et circulation atmosphérique. En particulier, nous mettons en évidence que l’éthane, un gaz très stable, est homogène sur toute la planète ce qui montre qu’il existe des mécanismes qui transportent les gaz sur l’ensemble de la planète.
Dans le futur, le LESIA participera à la mission JUICE dont l’un des objectifs est d’étudier l’atmosphère de Jupiter. Nous sommes impliqués dans deux instruments essentiels pour l’étude l’atmosphère Jupiter, le spectro-imageur visible et infrarouge MAJIS, et le spectromètre submillimétrique SWI.
Les atmosphères ténues
Plusieurs objets présentent des atmosphères très ténues, où la pression au sol est de l’ordre que quelques millionièmes de la pression atmosphérique terrestre. Ces atmosphères particulières qui entourent Io, Triton et Pluton, sont des laboratoires intéressants pour la dynamique, car les processus dominants y sont très différents de ceux qui gouvernent les atmosphères plus denses.
Sur Io, l’atmosphère est due au volcanisme intense qui agite le satellite de Jupiter. Ce volcanisme expulse directement des gaz qui contribuent à créer l’atmosphère, et indirectement en déposant une couche de glace de SO2 à la surface de Io, qui va sublimer lorsque le Soleil chauffera suffisamment la surface. La dynamique de l’atmosphère de Io est encore très mal connue, car elle est difficile à observer depuis la Terre. Cependant, des techniques particulières, telles que l’interférométrie dans le domaine millimétrique, permettent depuis peu de mesurer et cartographier les vents dans l’atmosphère de Io.
Les atmosphères de Triton et de Pluton sont principalement constituées de N2 qui est en équilibre avec la surface. Du méthane a également été détecté dans l’atmosphère de Pluton. Il est très difficile d’observer ces atmosphères depuis la Terre. Il faut utiliser une technique particulière, l’occultation stellaire : en observant la diminution du flux stellaire lors de sa disparition derrière l’objet, on peut mesurer la pression atmosphérique en fonction de l’altitude). De manière surprenante, les dernières observations montrent que la pression à la surface de Pluton a augmenté alors que la planète se refroidit en s’éloignant du Soleil. L’inverse était donc plutôt attendu. Que se passe-t-il ? Les explications sont toujours âprement débattues. Grâce des observations sol, notamment avec le VLT et avec ALMA, nous avons pu détecter de nouvelles molécules, telles CO, CH4 et HCN dans l’atmosphère de Pluton.