Observatoire de Paris Institut national de recherche scientifique français Univerité Pierre et Marie Curie Université Paris Diderot - Paris 7

Uranus, priorité n°1 de la NASA pour… 2031 !

mercredi 27 avril 2022

Mandatée par la NASA, l’académie des sciences, d’ingénierie et de médecine américaine a publié le 19 avril dernier son exercice de prospective décennale sur les sciences planétaires et l’astrobiologie. Ce travail très attendu par la communauté internationale des planétologues définit les priorités de missions spatiales d’exploration du Système solaire. Priorité n°1 pour la décennie qui vient : Uranus.

Image composite infrarouge des deux hémisphères d'Uranus obtenue avec (...)
Image composite infrarouge des deux hémisphères d’Uranus obtenue avec l’optique adaptative du télescope Keck

Crédit image : Lawrence Sromovsky, University of Wisconsin-Madison/W.W. Keck Observatory


Les chercheuses et chercheurs du LESIA qui ont participé aux projets déposés à l’ESA et à la NASA pour explorer Uranus ou Neptune se réjouissent ! La septième planète du Système solaire est en effet un élément clé de la recherche effectuée au laboratoire, en particulier par les pôles Planétologie et Héliosphère & Plasmas astrophysiques : dynamique atmosphérique, aurores, magnétosphère, anneaux, lunes… Sans parler des développements instrumentaux qui peuvent être envisagés pour cette future mission faramineuse.

La priorité maximale pour la prochaine mission Flagship de la NASA, après la mission Europa Clipper actuellement en cours de préparation, est donnée à l’exploration d’Uranus par un orbiteur et une sonde de rentrée atmosphérique. Ce projet a en effet été jugé le plus ambitieux sur le plan scientifique, et le plus raisonnable sur le plan des risques techniques, pour un coût global estimé à 4,2 milliards de dollars US.

Le projet est en effet bien avancé sur le plan du déroulement de la mission : plusieurs fenêtres de tirs sont possibles, les trajectoires sont déjà bien étudiées, certaines utilisant l’assistance gravitationnelle de Jupiter, d’autres plus ou moins d’assistances gravitationnelles y compris de la Terre ou de Vénus. Le meilleur scénario est celui d’un lancement en juin 2031, arrivée sur place en 2044 !

Parce qu’Uranus, il ne faut pas se mentir, ce n’est pas la porte à côté ! La planète se trouve à une vingtaine d’unités astronomiques du Soleil, soit vingt-fois la distance Terre-Soleil. Cette distance, qui exclut l’utilisation de panneaux solaires pour les sondes spatiales et entraîne une phase de croisière de treize à quinze ans, en fait un projet difficile à budgétiser pour les agences spatiales. Ce qui explique pourquoi, depuis son survol en 1986 par la sonde Voyager II, on n’avait pas encore été explorer cette planète (ni sa « voisine » Neptune, qui se situe encore dix unités astronomiques plus loin).

Pourtant, cette planète découverte en 1781 par William Herschel est une curiosité scientifique exceptionnelle dont l’étude pourrait faire basculer la vision que l’on a de notre Système solaire. Est-il un cas d’école dans l’Univers, comme on semblait le penser jusque dans les années 2000, ou au contraire est-il une exception ? L’étude des exoplanètes a révolutionné déjà notre réponse à cette question. La plupart des exoplanètes détectées à ce jour ont des tailles comprises entre celle de la Terre et celle d’Uranus et Neptune, les géantes glacées, c’est-à-dire plus grandes que celle des planètes telluriques, mais inférieures à celles des géantes gazeuses, Jupiter et Saturne. Les géantes glacées sont dites « glacées » car composées davantage de roches et d’espèces volatiles (eau, ammoniaque, méthane) que leurs cousines gazeuses où l’hélium et l’hydrogène sont rois. C’est donc une catégorie de planète à part entière dont on ne connaît que très peu de choses.

Uranus est un concentré d’excentricités : son axe de rotation est le seul à se trouver quasiment dans le plan de l’écliptique, on ne sait ni où, ni quand elle s’est formée dans le Système solaire, c’est la planète la plus froide autour du Soleil (alors que Neptune est bien plus lointaine), sa dynamique et sa composition atmosphérique sont là aussi uniques, son champ magnétique est tout sauf aligné avec quoique ce soit, ses 27 lunes sont très peu connues mais l’on sait déjà qu’elles sont différentes de celles de Jupiter et Saturne, et sa magnétosphère géante interagit bien plus avec le vent solaire que celles de Saturne et Jupiter. En outre, on connaît si peu son champ gravitationnel que les modèles de structure internes proposés sont pleins d’incertitudes, notamment sur le ratio « roche/glace » à l’intérieur. Les géantes glacées ne sont peut-être pas si glacées que ça !

Autant dire qu’il y a du pain sur la planche, que les découvertes vont pleuvoir, et qu’il faut s’y préparer dès maintenant. Le rapport du « decadal survey » préconise en effet de commencer le projet dès 2024. La réponse aux appels d’offre pour les instruments va arriver vite et sera un défi de taille pour l’expertise scientifique et technique du LESIA.