mardi 6 janvier 2009, par Jean-Marie Malherbe & Sylvain Cnudde
La polarisation de résonance
Parmi les processus de diffusion, dont les plus connus sont la diffusion de la lumière par les électrons libres (diffusion Thomson) ou par les molécules (diffusion Rayleigh), le phénomène de diffusion résonante dans les raies spectrales se produit lorsque l’atome excité retombe immédiatement de façon cohérente vers le niveau de départ. On a constaté que beaucoup de raies, lorsqu’elles sont observées au voisinage immédiat du limbe solaire présentent une polarisation linéaire. Au dessus du limbe, dans les protubérances, les raies chromosphériques sont également polarisées. On attribue cette polarisation à l’éclairement anisotrope des atomes dans l’atmosphère. Par exemple, les protubérances, situées au dessus du bord solaire dans la couronne, reçoivent un éclairement conique, l’axe du cône étant orthogonal à la ligne de visée.
Raie CaI 4227 Å En abscisse : la longueur d’onde En pointillé : le spectre en intensité I(λ) En trait continu : le taux de polarisation linéaire Q/I(λ) (noter le pic juste au cœur de la raie). © Observatoire de Paris
Effet Hanle
L’effet d’un champ magnétique sur la polarisation des raies de diffusion se caractérise par une dépolarisation des raies (diminution du taux de polarisation linéaire Q/I) et une rotation du plan de polarisation (apparition d’un signal U/I) : c’est l’effet Hanle. Celui ci n’intervient que pour les champs magnétiques faibles, résolus ou non, lorsque la fréquence de Larmor de l’électron νL = e B / (4π m) est comparable à l’inverse de la durée de vie des niveaux. L’effet Zeeman, quant à lui, concerne plutôt les champs forts résolus, lorsque la fréquence de Larmor νL est voisine de la largeur Doppler en fréquences ΔνD = ν vth /C. La notion de champ résolu correspond à la présence d’un champ magnétique homogène en intensité et en direction sur l’élément de surface résolu par le télescope (une fraction de seconde de degré). De tels champs sont accessibles par effet Hanle (champs faibles < 50 Gauss) et Zeeman (champs forts > 50 Gauss). Par contre, les champs turbulents qui possèdent une direction répartie aléatoirement dans toutes les directions de l’espace sur l’élément de surface résolu par le télescope ont une signature Zeeman nulle (effet sensible aux projections du champ, nulles en moyenne) et une signature Hanle observable (effet sensible au module du champ, non nul en moyenne).
Exemple de la diffusion à 90° en présence de champ magnétique horizontal
On s’intéresse à la diffusion de la lumière incidente (non polarisée) d’intensité I’ issue de la surface du Soleil, dans une direction orthogonale qui est celle d’un observateur regardant au dessus du bord solaire (figure). Il peut, par exemple, s’agir d’une protubérance comme le montre la figure. L’observateur s’intéresse aux paramètres de Stokes I, Q, U et V de la lumière diffusée qu’il reçoit dans sa direction. On suppose que le processus de diffusion de la lumière incidente I’ se fait en présence d’un champ magnétique horizontal B (qui par exemple supporte la protubérance et qu’on veut mesurer), contenu dans un plan tangent au Soleil, le vecteur B faisant fait un angle θ avec la direction de diffusion.
On introduit le paramètre sans dimension H = e B / (2 m γ) proportionnel à B, où B est le module du champ magnétique, e et m la charge et la masse de l’électron, γ l’inverse de la durée de vie des niveaux. La théorie classique simplifiée de la diffusion donne les résultats suivants :
Si le champ magnétique est parallèle à la direction de diffusion (θ = 0) :
I = I’
|Q/I| = 1 / (1 + 4H²) < 1, facteur de dépolarisation Hanle. Sans champ, |Q/I| = 1. Plus le champ magnétique est fort, et plus la dépolarisation est élevée.
|U/I| = 2H / (1 + 4H²) et α = ½ arc tan(U/Q) = ½ arc tan[2H]. Plus le champ magnétique est fort, et plus la rotation α du plan de polarisation est importante.
Si le champ magnétique est orthogonal à la direction de diffusion (θ = π/2)
I = (I’/2) [ 3 - 1/(1 + 4H²) ]
Q = (-I’/2) [ 1 + 1/(1 + 4H²) ] Le facteur de dépolarisation Hanle vaut |Q/I| = (1 + 2H²) / (1 + 6H²). Plus le champ magnétique est fort, et plus la dépolarisation est élevée (mais bornée inférieurement).
U = 0, la polarisation est parallèle au bord solaire
En résumé, la dépendance de Q/I et U/I en H = e B / (2 m γ) et en θ permet de mesurer le module du champ magnétique B et sa direction θ, à 180° près.
Le « second spectre solaire »
Le « second spectre solaire » désigne le spectre solaire en polarisation linéaire Q/I(λ) observé tout près du bord solaire, à quelques secondes d’arc à l’intérieur du bord. On y étudie tout particulièrement la dépolarisation de certaines raies, que l’on attribue à la présence d’un champ magnétique faible et turbulent, non résolu, ce qui conduit à traiter l’hypothèse simplificatrice suivante :
On suppose que toutes les orientations du champ magnétique sont équiprobables (0 < θ < 2π) dans le plan tangent à la surface du Soleil. On effectue alors une moyenne angulaire sur θ de 0 à 2π qui donne d’abord Umoy = 0 : il n’y a donc aucun signal sur U selon cette hypothèse, donc la polarisation reste parallèle au bord solaire.
Le facteur de dépolarisation Hanle vaut après intégration angulaire |Qmoy/Imoy| = (1 + H²) / (1 + 5H²). Plus le champ magnétique est fort, et plus la dépolarisation est élevée avec encore une borne inférieure.
On met cette propriété à profit dans le « second spectre solaire ». La mesure de la dépolarisation de certaines raies, par rapport à leur polarisation hors champ magnétique, comme le cœur de CaI 4227 Å présenté ici, permet d’estimer le module du champ magnétique turbulent dans le Soleil, dont on soupçonne la présence partout, y compris dans les régions calmes. Sa contribution au champ magnétique général pourrait ainsi s’avérer importante.